
Blessures du Rwanda, ombres de la France… Emmanuel Cortez revient, dans son nouveau roman, sur une des pires tragédies du XXème siècle : trente et un ans après le génocide des Tutsis, le Rwanda continue en effet d’interroger l’Histoire. Si le pays s’est reconstruit avec une rapidité impressionnante, l’écho des cent jours de 1994 résonne encore dans les consciences. En publiant Les fils qui nous relient, le dernier roman d’Emmanuel Cortez ne livre pas seulement un récit romanesque : il rouvre le dialogue entre mémoire et responsabilité, entre l’Afrique et la France, à travers le destin d’un enfant né du chaos.
Un roman au cœur de l’Histoire
Inspiré de faits réels, le roman s’ouvre sur la fuite de Marie-Ange, jeune paysanne tutsie, au moment où le pays sombre dans la folie meurtrière. Réfugiée dans un camp protégé par des légionnaires français, elle rencontre Enguerrand, lieutenant aristocratique formé à Saint-Cyr. De leur brève union naît Jean-Jacques, un enfant métis, témoin d’un double héritage, celui d’un peuple blessé et d’une nation étrangère mêlée à son drame.
Le destin de ce fils, de Kigali à Paris, tisse un fil entre deux histoires que tout semblait opposer. À travers lui, Cortez explore la question du legs : comment se construire lorsqu’on est né de la guerre, entre deux continents et deux vérités historiques ?
La France et le Rwanda, un passé sous tension
Le choix d’un officier français comme père du héros n’a rien d’anodin. Il évoque, sans la nommer, la zone grise de la politique étrangère française sous François Mitterrand. Longtemps accusée d’avoir soutenu le régime hutu avant et pendant le génocide, la France a mis des décennies à reconnaître sa part de responsabilité. Le rapport Duclert, remis en 2021, a parlé de « responsabilités lourdes et accablantes », sans toutefois conclure à une complicité directe.
Cortez ne cherche pas à rejuger l’Histoire, mais à la comprendre. Son roman, loin d’être un pamphlet, s’inscrit dans une démarche de mémoire apaisée : il montre comment l’intime peut devenir un miroir du politique. En faisant dialoguer Marie-Ange et Enguerrand, il illustre l’ambiguïté d’une relation marquée par la domination, la compassion et la méconnaissance mutuelle.
Entre fiction et diplomatie morale
Le Rwanda d’aujourd’hui a tourné une page : il est devenu l’un des États les plus stables et les plus dynamiques d’Afrique de l’Est, entre ouverture économique et contrôle politique. Mais Les fils qui nous relient rappelle que la stabilité ne suffit pas à effacer la douleur. Cortez met en lumière une autre forme de diplomatie : celle que la littérature peut incarner, par la reconnaissance et le récit partagé.
Son roman participe d’une écriture du lien, où l’enfant né du drame devient symbole d’un rapprochement possible entre les peuples. Jean-Jacques, en quête de son père inconnu, représente cette génération qui refuse l’oubli et cherche à comprendre d’où elle vient pour savoir où elle va.
Un roman de transmission et de réconciliation
Dans la lignée de Gaël Faye (Petit pays) ou de Scholastique Mukasonga, Emmanuel Cortez inscrit son œuvre dans la mémoire littéraire du Rwanda. Mais il lui donne une portée plus large, en y intégrant la responsabilité européenne. Les fils qui nous relient ne dénonce pas, il relie : il rappelle que la tragédie du Rwanda n’est pas un événement africain isolé, mais un drame universel où se rejouent les fractures de la communauté internationale.
Plus de trente ans après les faits, alors que Kigali et Paris ont renoué un dialogue diplomatique, le roman d’Emmanuel Cortez agit comme un fil de mémoire tendu entre les deux capitales et montre que la littérature, mieux que la politique, peut parfois panser les blessures de l’Histoire.
Michel Taube




















