Edito
21H21 - samedi 4 octobre 2025

Aurillac : un couteau, un drapeau et un malaise français. La chronique de Thierry Gibert

 

Le 5 octobre 2025, en plein cœur d’Aurillac, préfecture du Cantal, un incident troublant secoue la tranquillité dominicale. Un homme de 29 ans, visiblement ivre, déambule dans les rues du centre-ville, un couteau de cuisine à la main. Selon La Montagne, il profère des menaces explicites, criant vouloir « tuer » et « tout brûler ». Rapidement interpellé par les forces de l’ordre, il est placé en hospitalisation psychiatrique sous contrainte.

Un détail attire l’attention : il brandit un drapeau palestinien. Ce fait divers, loin d’être anodin, s’inscrit dans un contexte local et national marqué par des tensions idéologiques et symboliques. Il révèle un malaise profond où des objets comme un drapeau deviennent les catalyseurs de débats brûlants sur l’identité, la République et la radicalisation.

Cet événement dépasse le cadre d’une simple altercation. Il met en lumière une fracture dans l’espace public français où les symboles politiques et religieux s’entremêlent avec des actes de violence potentielle.

À Aurillac, ce couteau et ce drapeau ne sont pas de simples objets ; ils incarnent un symptôme d’un climat où les tensions idéologiques s’expriment de manière de plus en plus visible et inquiétante.

 

Le drapeau palestinien : un symbole chargé d’histoire

Le drapeau palestinien, avec ses couleurs (blanc, noir, vert, rouge), n’est pas un simple emblème national. Créé en 1916 dans le contexte de la révolte arabe, il s’inspire directement des bannières des grands califats islamiques — Omeyyade (blanc), Abbasside (noir), Fatimide (vert) et Hachémite (rouge). Ces califats, qui ont marqué l’histoire par leurs conquêtes et leur ambition d’un pouvoir religieux et politique unifié, confèrent au drapeau une portée symbolique qui dépasse la cause palestinienne contemporaine. Si, pour certains, il exprime une solidarité avec les civils de Gaza, confrontés à des souffrances indéniables, il est essentiel de rappeler que le Hamas, par sa gouvernance autoritaire et ses actions violentes depuis des décennies, est le premier responsable des tourments endurés par la population palestinienne. Pour d’autres, le drapeau devient un étendard brandi dans un élan de revendication civilisationnelle, instrumentalisé par l’islamisme, une idéologie visant à restaurer un ordre califal où la loi religieuse primerait sur toute autre.

À Aurillac, ce symbole a pris une résonance particulière lors du Festival international de théâtre de rue de 2025, comme nous le soulignions dans Opinion Internationale (22 août 2025). L’événement, censé célébrer l’art, a été marqué par une politisation assumée : un drapeau palestinien déployé sur la façade de la mairie, un keffieh brandi sur scène, une pastèque – symbole codé de la cause palestinienne – exhibée en présence du maire PS.

Ces gestes, validés par la municipalité et promus par le festival, traduisent une prise de position idéologique.

Dans ce climat, l’apparition d’un drapeau palestinien, associé à un couteau et à des menaces violentes le 5 octobre, ne peut être réduite à l’acte isolé d’un individu déséquilibré. Si le diagnostic psychiatrique est réel, il n’épuise pas l’analyse. Il pointe une imprégnation idéologique plus large où des symboles, portés par l’héritage des califats et amplifiés par des événements comme le festival, deviennent des vecteurs de provocation dans un espace public fracturé.

Ce phénomène n’est pas nouveau en France. Ces dernières années, plusieurs faits divers ont vu des individus associer le drapeau palestinien à des menaces contre des Juifs, des apostats ou de simples passants. Invoquer systématiquement un « trouble mental » pour expliquer ces actes revient à esquiver une question essentielle : comment un symbole chargé de l’histoire des califats devient-il un outil de confrontation dans un contexte marqué par l’influence de l’islamisme ?

 

Aurillac, épicentre d’un militantisme organisé

Aurillac n’est pas une ville quelconque dans ce débat. La cause palestinienne y bénéficie d’un ancrage militant structuré, porté par plusieurs organisations actives dans l’espace public. Le Collectif Cantal Palestine Solidarité organise des rassemblements réguliers, comme en juin 2024 devant le tribunal d’Aurillac ou à de multiples reprises en 2025, place des Droits de l’Homme, devenue un lieu emblématique de ces mobilisations. À ses côtés, le collectif de soignants Blouses Blanches pour Gaza 15 met en avant la crise sanitaire dans les territoires palestiniens pour apporter une dimension humanitaire à ces actions. L’Union départementale CGT du Cantal relaie les appels à manifester, mobilisant ses adhérents pour investir les rues. De même, les Insoumis d’Aurillac, branche locale de La France insoumise, militent pour la reconnaissance immédiate de l’État de Palestine et organisent des rassemblements au cœur de la ville, tandis que la FSU 15, syndicat enseignant, diffuse tracts et appels pour consolider cet écosystème militant.

La place des Droits de l’Homme, par son nom évocateur, pourrait symboliser un idéal universaliste. Pourtant, elle est devenue le théâtre d’une polarisation symbolique. Les drapeaux palestiniens y sont omniprésents, tandis que le drapeau français y est quasi absent. Tout récemment, deux jeunes Aurillacois ayant osé brandir le drapeau tricolore lors d’une mobilisation publique et revendiquée ont été vivement critiqués par des militants syndicaux, leur geste étant perçu comme problématique d’après les réactions entendues sur place et pouvant engendrer des risques sécuritaires selon des militants syndicaux. Ce rejet du drapeau national, vu comme une provocation dans un espace revendiquant la défense des salariés comme des retraités, traduit une fracture idéologique profonde. Une partie de la gauche locale semble avoir remplacé un symbole d’unité nationale par un autre, chargé d’une histoire et d’une portée différentes.

Cette hostilité au drapeau français n’est pas un détail. Elle reflète une vision où l’appartenance nationale est perçue comme un obstacle à une cause internationale voire comme une marque d’oppression. Cette posture, visible dans les slogans et les attitudes des manifestants, interroge la capacité de ces mouvements à incarner un projet fédérateur, respectueux des principes républicains qui fondent la cohésion nationale. Ce climat révèle un paradoxe : là où l’on prétend défendre des droits universels, on refuse le symbole commun de la République. Une telle fracture, si elle s’amplifie, menace directement le socle républicain.

Après le drapeau et le couteau, place à la politique. Car le malaise d’Aurillac ne se lit pas seulement dans les faits divers : il se retrouve jusque dans les investitures et les silences d’une partie de la gauche locale. À suivre demain : Législatives dans le Cantal : Zoé Pébay ou la complaisance politique alarmante.

 

Thierry Gibert

Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.