Edito
10H50 - lundi 6 octobre 2025

L’islamisme, l’entrisme et la République – le témoignage vérité d’Omar Youssef Souleimane. La chronique de Thierry Gibert

 

L’islamisme, l’entrisme et la République - le témoignage vérité d’Omar Youssef Souleimane. La chronique de Thierry Gibert

Poète, écrivain et intellectuel franco-syrien, Omar Youssef Souleimane a connu la dictature avant l’exil. Né à Qouriya, il a grandi dans un environnement marqué par la propagande du régime de Bachar al-Assad et les rigidités religieuses, avant de s’engager comme journaliste et poète dissident. En 2012, il doit quitter la Syrie et trouve refuge en France, pays qu’il avait idéalisé comme terre de liberté. Installé à Paris, il choisit d’écrire directement en français, comme pour signifier son ancrage et son désir de s’adresser aux consciences républicaines. Depuis, il a publié des recueils de poésie et plusieurs essais, dont Les Âmes barbares, réflexion sur la violence et la mémoire, ou encore Une chanson pour Baris, roman centré sur le parcours d’un migrant turc en France. Le prénom Baris signifie « paix » en turc, un choix qui illustre l’attachement de l’auteur à relier les destins individuels aux idéaux universels de fraternité et d’intégration.

Son nouvel ouvrage, Les Complices du Mal, poursuit cette trajectoire. Il y dénonce les connivences, les complaisances et les aveuglements qui permettent à l’islamisme de prospérer jusque dans les rangs d’une partie de la gauche française. Loin d’un simple essai polémique, c’est le cri d’un écrivain qui a expérimenté la répression politique et qui sait combien les idéologies totalitaires, qu’elles soient d’État ou religieuses, menacent les libertés les plus fondamentales.

 

Quatre réalités à ne pas confondre

L’auteur insiste sur la nécessité de clarifier les termes car la confusion sert trop souvent d’alibi au renoncement.

L’islam religieux est d’abord une foi vécue par des millions de croyants, une pratique spirituelle et culturelle qui relève de la liberté de conscience et qui, en France, s’accorde avec la laïcité.

L’islam politique, lui, est une idéologie qui instrumentalise la religion pour peser sur la société, influencer des partis, orienter des votes, s’infiltrer dans des associations et des collectifs.

L’islam radical est la dérive extrémiste et violente, hostile à la République et à la démocratie et qui peut basculer dans le terrorisme.

Enfin, l’islamisme est la doctrine globale qui prétend substituer la loi religieuse à la loi civile. Il nourrit l’islam politique, légitime l’islam radical et s’appuie pour se diffuser sur la base de l’islam religieux.

Cette distinction est essentielle. Elle permet de dissocier l’immense majorité des musulmans, attachés à leur foi et respectueux des institutions républicaines, des minorités activistes qui veulent détourner l’islam pour en faire un projet de société alternatif. Elle évite l’amalgame, tout en donnant les outils pour identifier les logiques d’entrisme et les stratégies de rupture.

 

L’islamisme dans le monde, en Europe et en France

Dans le monde arabe, l’islamisme reste structuré autour de grandes matrices idéologiques. Les Frères musulmans, nés en Égypte dans les années 1920, continuent d’inspirer des générations de militants même s’ils sont réprimés dans leur pays d’origine. Le salafisme, quant à lui, s’appuie sur une vision rigoriste de la religion et a été promu par des États du Golfe à coups de pétrodollars, irriguant des courants transnationaux. La Turquie d’Erdogan a également donné un exemple d’hybridation entre démocratie formelle et islam politique assumé. Le Maghreb, de son côté, oscille entre contrôle étatique des mosquées et tolérance partielle de partis islamistes intégrés dans le jeu électoral.

En Europe, l’islamisme a pris une autre forme. Plus discret, il agit comme une stratégie d’influence patiente, en investissant les structures locales, les associations culturelles, sportives ou éducatives, parfois même des syndicats. Le Royaume-Uni illustre cette ambiguïté avec des réseaux islamistes qui ont trouvé des relais dans certaines municipalités. En Belgique, plusieurs affaires ont montré l’influence de prédicateurs radicaux dans des quartiers populaires.

En France, la loi confortant le respect des principes de la républqiue, dite loi contre le séparatisme, a permis de dissoudre certaines associations et de fermer des lieux de culte. Ces décisions ont marqué un coup d’arrêt à certaines expressions visibles de l’islamisme. Pour autant, l’islam politique ne recule pas ; il progresse par l’entrisme, en cherchant à peser sur les débats publics et à capter une partie de la jeunesse. Quant à l’islam radical, il s’exprime à la fois en ligne, par des discours de rupture et de haine de la République et dans certains lieux de culte. Plusieurs mosquées et salles de prière ont été fermées ces dernières années pour avoir diffusé des prêches incitant à la haine, rejetant la laïcité ou contestant l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

La polémique avec La France insoumise

C’est dans ce contexte qu’est survenue la polémique autour de La France insoumise. Dès le 11 septembre 2025, Le Point révélait que l’éditeur Plon avait reçu une mise en demeure afin de communiquer une version anticipée du manuscrit d’Omar Youssef Souleimane, Les Complices du Mal. Le JDD publiait dans la foulée un article titré « LFI tenterait d’empêcher la parution d’un livre sur ses connexions islamistes ». Marianne s’en faisait également l’écho, confirmant la pression exercée sur l’éditeur. Enfin, Le Figaro revenait début octobre sur cette affaire en donnant directement la parole à l’auteur.

Pourquoi un tel empressement sinon pour contrôler une critique jugée dérangeante ? Le paradoxe est que malgré des prises de position souvent perçues comme des tentatives de déstabilisation de la République par la complaisance avec l’islamisme et par des discours haineux de certains élus, responsables et militants, LFI bénéficie d’une légitimité administrative. En mars 2024, le Conseil d’État a validé la décision du ministère de l’Intérieur de classer le parti dans la nuance « Gauche » et non « Extrême gauche », estimant qu’il n’y avait pas d’erreur manifeste d’appréciation. Cette classification tend à légitimer l’action de LFI, ce qui rend son message d’autant plus audible auprès d’une partie de la jeunesse. L’audience de ce mouvement est d’ailleurs amplifiée par sa porosité avec de nombreuses universités, associations et syndicats qui servent de relais idéologiques.

 

Le creuset républicain fragilisé

Dès lors, la question devient brûlante : comment endiguer l’islamisme ? La réponse ne saurait être uniquement policière ou judiciaire. Elle suppose un retour de l’État dans ses missions régaliennes. La première d’entre elles, trop souvent défaillante, est l’Instruction. L’école est censée transmettre un savoir commun, armer les esprits contre les idéologies de rupture et offrir un horizon d’émancipation. Lorsque cette mission échoue, le vide laissé est rapidement comblé par des discours de substitution : islamisme, complotisme, extrémismes divers.

Restaurer la confiance dans l’école suppose de redonner sens à la laïcité, de revaloriser l’enseignement civique et de soutenir les enseignants dans leur autorité. Cela suppose aussi de mieux former les responsables associatifs et syndicaux aux risques d’entrisme car l’islamisme ne s’attaque pas seulement à l’État ; il infiltre aussi les corps intermédiaires. La République doit donc reconstruire son creuset et cela passe par un sursaut éducatif, culturel et civique.

 

Les enjeux de 2026 et 2027

À l’approche des élections municipales de 2026 et présidentielle de 2027, la question devient décisive. Dans certaines villes, la tentation sera forte de composer avec l’islam politique pour capter un électorat communautaire. Les alliances électorales, même locales, peuvent offrir une vitrine à des idéologies contraires aux principes républicains. À l’échelle nationale, la prochaine Présidentielle risque de transformer la laïcité en instrument de clivage entre camps opposés ; certains la brandissant comme un outil d’exclusion, d’autres la minimisant pour ménager des alliances.

Mais au-delà de la politique électorale, c’est toute la cohésion sociale qui est en jeu. Si les fractures territoriales, économiques et culturelles ne sont pas résorbées et l’on ne dispose que de trop peu de temps pour ce faire (je vous renvoie à l’Urgence Laïque de Laurence Taillade), si l’égalité réelle et l’intégration ne redeviennent pas prioritaires, la République perdra son pouvoir d’attraction. L’enjeu est donc double : protéger la laïcité comme socle de la liberté de tous et redonner confiance dans la promesse républicaine d’égalité et de fraternité.

 

Avec Les Complices du Mal, Omar Youssef Souleimane rappelle une évidence trop souvent oubliée : l’islamisme ne crée pas ; il infiltre. Il n’a pas besoin d’un parti pour exister ; il prospère dans les failles de nos démocraties et dans les complicités de responsables politiques toujours plus nombreux. Le défi n’est pas seulement sécuritaire ; il est culturel, éducatif, social et démocratique. Serons-nous capables en 2026 comme en 2027 de défendre la République sans céder ni à l’angélisme ni à l’amalgame ? La réponse ne dépend pas seulement des institutions mais de la capacité de la société tout entière à faire Nation.

 

Thierry Gibert

Agé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.