Edito
09H39 - vendredi 19 septembre 2025

La neutralité de l’Etat : jusque dans les écoles ? La chronique de Daniel Keller

 

La séparation des églises et de l’Etat est le pendant de la liberté de conscience que la loi de 1905 garantit. C’est l’équilibre subtil trouvé par le législateur sur la base duquel cette loi fut hâtivement qualifiée de loi de compromis. La séparation était en réalité à l’œuvre depuis la Révolution qui dès 1792 retira la gestion de l’état civil aux paroisses pour la confier aux communes. Elle connut au cours du XIXème siècle d’autres prolongements dont les lois Ferry instituant l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire furent un moment clé. La loi de 1905 paracheva ce mouvement en décidant que les membres du clergé ne seraient plus désormais rémunérés par l’Etat, exception faite du clergé d’Alsace-Moselle. De là à considérer que cette mesure hâterait le dépérissement de l’Eglise, il n’y a qu’un pas que les plus radicaux des Républicains n’hésitèrent pas à franchir.

Au-delà de ces réorganisations institutionnelles, l’esprit de la séparation continua d’inspirer la gouvernance du champ éducatif. Il trouva notamment un prolongement dans les circulaires prises par Jean Zay, ministre de l’Education nationale du Front populaire. Celles-ci rappelèrent que l’école devait être maintenue à l’abri des propagandes politiques. La circulaire du 1er juillet 1936 précisait explicitement que la neutralité politique s’imposait aux établissements scolaires. Dans une formule passée à la postérité, une deuxième circulaire du 31 décembre 1936 soulignait que « les écoles devaient rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Dans une dernière circulaire datée du 15 mai 1937, le ministre ajouta que ces prescriptions s’appliquaient également aux propagandes confessionnelles. La boucle était bouclée !

Telles étaient les conditions dont le respect permettrait à chaque élève de « s’élever intellectuellement » selon les termes utilisés par le Ministre. En présentant le parcours scolaire en termes d’élévation, loin du dogme de l’horizontalité qui prévaut aujourd’hui, la circulaire assimilait implicitement l’instruction à un apprentissage dont la progressivité avait une dimension émancipatrice. Cette élévation présupposait naturellement d’affranchir les élèves des discours de propagande dont la vocation est d’enrôler plutôt que d’éclairer. Ainsi se dessinait derrière ces lignes l’image d’une école ressemblant à une forme de « monastère laïque ».

Le moment ne serait-il pas venu de renouer avec cette tradition et du même coup avec l’esprit de la laïcité ? Nous sommes entrés en effet dans une période où la société, dont les associations sont souvent le porte-étendard, a pénétré les écoles pour les faire vivre au rythme des affrontements idéologiques de toute nature qui scandent naturellement la vie quotidienne. Une telle approche conduirait évidemment à recentrer l’école sur l’apprentissage des savoirs pour permettre à chacun de … s’élever intellectuellement au contact des Œuvres, selon la formule de Jean Zay.

Vaste ambition !

 

Daniel Keller

Directeur dans un groupe de protection sociale, président des Anciens Elèves de l’ENA en entreprise, ex-président de l’association des Anciens Elèves de l’ENA, Ancien membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).