Edito
11H09 - jeudi 11 septembre 2025

Rupture dans la diversité : la gauche américaine se démarque par son dogmatisme, la droite incarne la diversité des idées. Tribune d’Alexandre Allegret-Pilot

 

Rupture dans la diversité : la gauche américaine se démarque par son dogmatisme, la droite incarne la diversité des idées.

Une étude récente parue dans le British Journal of Social Psychology en 2024 apporte un éclairage inédit sur la dynamique de polarisation idéologique aux États-Unis.



Grâce à une méthode de modélisation des attitudes appelée ResIN (Response-Item Network), les chercheurs ont analysé les réponses de plus de 8 600 citoyens américains pour cartographier les positions des individus sur huit sujets clés de la vie publique étatsunienne : avortement, armes à feu, immigration, mariage homosexuel, environnement, climat, santé publique et religion.

Les attitudes politiques ne sont pas des opinions isolées et arbitraires : elles forment des réseaux cohérents qui traduisent l’identité de groupe des individus, leur appartenance idéologique à des systèmes de croyances et de valeurs. Les résultats de l’analyse sont frappants, le modèle révélant deux grands blocs : un bloc démocrate extrêmement homogène et un bloc républicain bien plus diversifié.

Dans le bloc démocrate, les positions sont alignées sur les options les plus extrêmes pour l’ensemble des thèmes. Le réseau démocrate se structure autour d’un noyau de croyances et de valeurs dominé par deux phénomènes : la concentration (faible diversité) et l’extrémisme des positions (la concentration se fait sur des positions extrêmes). À titre d’exemple, et comme le confirme une autre étude de 2024, les positions des démocrates sur l’avortement sont nettement plus concentrées que celles des républicains : l’écart entre les partisans et les opposants au droit à l’avortement y atteint 71 points, témoignant d’un quasi-consensus interne, quand l’écart chez les républicains n’est que de 16 points, traduisant une plus grande diversité d’opinions. A fortiori, les démocrates concentrent leur opinion sur une dérégulation totale de l’avortement, confirmant des positions majoritairement extrêmes.

Le bloc républicain présente ainsi une bien plus grande variété interne. On y retrouve des conservateurs affirmés, mais également des modérés et des individus tenant des positions nuancées sur des sujets comme l’environnement, l’avortement ou le mariage homosexuel. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : environ 65 % des républicains expriment des positions strictement conservatrices sur l’ensemble des thèmes. Les 35 % restants adoptent des positions intermédiaires sur un ou plusieurs sujets. Ce pluralisme visible chez les « conservateurs » contraste avec l’uniformité et l’extrémisme idéologique qui caractérisent le camp dit « progressiste ».

Exemple du positionnement de 3 participants fictifs en fonction de leur posture sur 2 thèmes : à gauche, un individu tenant deux postures démocrates ; au centre, un individu tenant une posture démocrate et une posture républicaine ; à droite, un individu tenant deux postures républicaines. La sphère républicaine est considérablement plus diversifiée que la sphère démocrate, concentrée sur des positions extrêmes.

Exemple du positionnement de 3 participants fictifs en fonction de leur posture sur 2 thèmes : à gauche, un individu tenant deux postures démocrates ; au centre, un individu tenant une posture démocrate et une posture républicaine ; à droite, un individu tenant deux postures républicaines. La sphère républicaine est considérablement plus diversifiée que la sphère démocrate, concentrée sur des positions extrêmes.

Ce n’est pas la seule analyse qui confirme une véritable « fracture dans la diversité » et la concentration de l’identité démocrate sur des positions politiques extrêmes : ces résultats rejoignent en effet les observations d’une autre étude publiée en 2018 dans Political Psychology. Les auteurs y montrent que la gauche américaine construit son identité essentiellement sur des positions idéologiques très strictes.

Selon leurs données, 85 % des démocrates adoptent des positions très libérales sur l’ensemble des grands thèmes contemporains, ce qui est cohérent avec l’étude de 2024. Dans ce contexte, et chez les démocrates, toute divergence d’opinion est perçue comme une remise en cause de l’appartenance au groupe : la marge de manœuvre idéologique y est très étroite. Les républicains, au contraire, fondent davantage leur identité sur des repères culturels et sociaux (famille, religion, nation) qui permettent la coexistence d’une diversité d’opinions. Là où seuls 50 à 60 % des républicains cumulent des positions très conservatrices sur tous les sujets, les autres présentent des variations substantielles.

En croisant ces deux études, le constat est sans appel : la gauche américaine est enfermée dans un carcan idéologique où toute déviation de la ligne dominante est perçue comme une trahison. La droite, malgré les caricatures médiatiques habituelles, reste un refuge pour la diversité des points de vue. Ce phénomène n’est pas anodin. Lorsqu’une société transforme les idées en drapeaux identitaires, le dialogue et la réflexion disparaissent et, avec eux, toute perspective de progrès authentique : ce n’est plus la pertinence d’un argument qui compte, mais le camp auquel il renvoie.

Ces travaux constituent un avertissement scientifique. Le pluralisme des idées n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale pour la démocratie et le progrès de nos sociétés.

Contrairement à ce qu’annoncent fréquemment les médias dominants, et alors que les démocrates ferment le débat en imposant une orthodoxie idéologique, les républicains sont considérablement plus tolérants et préservent un espace où les opinions peuvent coexister, se confronter, s’enrichir et évoluer.

Il est très probable que cet extrémisme de la pensée démocrate étatsunienne, présentée comme avant-gardiste mais dépourvue de véritable diversité, contribue au décalage permanent de la fenêtre d’Overton vers la gauche. Aussi connue comme la fenêtre du discours, elle est une métaphore qui désigne l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée. Le décalage permanent de cette fenêtre vers la gauche résulte manifestement de l’extrémisme constamment renouvelé des positions défendues par la gauche et dont l’enchaînement est consacré par la notion, souvent fallacieuse, de progrès. À l’inverse, la diversité et l’équilibre qui caractérisent les positions de droite sont moins compatibles avec une dynamique entraînant la fenêtre des idées dans une direction particulière. Le renouveau prométhéen et techno-solutionniste de la droite américaine, inspiré par les écrits de Curtis Yarvin et incarné par Elon Musk, tend à enrayer cette dynamique.

Loin de l’image de Périclès, ce n’est plus le citoyen qui détermine la vie de la cité, mais le militant. En découle un risque de détournement démocratique au profit du plus fanatique et non du plus compétent. Cela s’inscrit en réalité dans une histoire plus longue et tend à expliquer le succès des mouvements radicaux et révolutionnaires : c’est par une concentration et une extrémisation de l’idéologie – soit la réduction de la diversité à son strict minimum – que se propagent ces grandes ruptures politiques qui émaillent l’Histoire. Ce n’est pas parce qu’un mouvement est en rupture avec la doxa qu’il présente une quelconque diversité en son sein. L’extrémisme des slogans employés actuellement par le principal moteur de la gauche française (« riposte antifasciste », « révolution », « ACAB », appels au meurtre et autres slogans d’appartenance…) n’est qu’une illustration du comportement manichéen internalisé par toute une population, qui pèse et persuade par la faiblesse de sa diversité et la radicalité de ses positions.

Quand la droite modère et se disperse, la gauche réclame et fait bloc.

Et si le « sens de l’histoire » était surtout celui de la succession des positions extrémistes portées par la gauche et dont l’acceptabilité est rachetée a posteriori par un récit progressiste empêchant toute remise en question et générant un effet de cliquet politique inéluctable ?

Si l’avenir nous le dira… le passé nous l’a déjà amplement expliqué.

Alexandre ALLEGRET-PILOT Haut-fonctionnaire, avocat et Député UDR du Gard