
A la suite de la marche blanche qui s’est tenue à Aurillac le 7 septembre en mémoire de Caroline Grandjean, directrice d’école tragiquement disparue le jour de la rentrée scolaire, Thierry Gibert, coordinateur de la CFDT Cantal, qui s’exprime ici en son nom personnel, appelle à une prise de conscience collective face au harcèlement dans le monde du travail, qu’il s’agisse d’homophobie, de sexisme, de discriminations liées au handicap ou de pressions managériales.
Le 1er septembre 2025, jour symbolique de la rentrée scolaire, Caroline Grandjean, directrice d’école dans le Cantal, a mis fin à ses jours. Elle subissait depuis des mois un harcèlement homophobe : lettres anonymes d’un corbeau, insultes, menaces. Plutôt que d’être soutenue, elle avait été éloignée de son poste, comme si l’on pouvait résoudre un problème en écartant la victime. Ses plaintes n’ont pas suffi à alerter l’institution. Ses souffrances sont restées sans protection. Le dimanche 7 septembre, nous étions des centaines à marcher à Aurillac en sa mémoire. J’y étais, bouleversé, mais aussi animé par la conviction que ce drame ne doit pas se dissoudre dans le silence.
Caroline n’est pas un cas isolé. L’homophobie fut pour elle le ressort principal du harcèlement subi, mais tant d’autres agents subissent des pressions et des violences psychologiques pour d’autres raisons : sexisme, handicap, âge, orientation sexuelle, pratiques managériales toxiques, conflits hiérarchiques mal gérés. Le mal est multiforme, mais ses effets identiques : briser les personnes, les isoler, les réduire au silence.
Depuis des années, dans les services publics comme ailleurs, les témoignages affluent. Les mécanismes sont tristement récurrents : signalements bloqués ou ignorés, alertes minimisées, protections refusées, victimes culpabilisées, employeurs préférant préserver leur image plutôt que leur devoir de protection. La mécanique du déni s’installe, et avec elle une spirale de souffrance qui mène aux arrêts de travail, aux carrières interrompues, parfois au désespoir absolu.
Derrière chaque dossier se cache une vie. Une agente déplacée brutalement après avoir signalé des problèmes de sécurité. Un agent reconnu travailleur handicapé sanctionné et humilié au lieu d’être accompagné. Des personnels accusés publiquement à tort devant leurs collègues. Des agents contraints d’assumer des missions hors de leur fiche de poste, dans un climat de défiance. Une agente fragilisée par la maladie, confrontée à des erreurs administratives sur sa rémunération, source d’angoisse supplémentaire. Toutes ces situations, différentes dans leur forme, révèlent la même réalité : un système qui choisit trop souvent le silence et l’immobilisme au lieu de la protection.
Ce qui a le plus affecté Caroline, comme d’autres, ce n’est pas seulement la violence initiale du harcèlement, mais le sentiment d’abandon par l’institution. Sa veuve Christine l’a exprimé avec une clarté bouleversante : « Ce qui a le plus pesé, c’est le manque de soutien. » Lorsqu’un agent ose parler, il attend une écoute, une reconnaissance, une protection. Trop souvent, il rencontre le doute, la mise à distance ou l’inertie. Ce second harcèlement — celui de l’indifférence — est parfois plus destructeur que le premier.
L’histoire de Caroline rappelle tragiquement d’autres noms gravés dans nos mémoires collectives, comme celui de Samuel Paty. Là encore, des signaux avaient été émis, des menaces étaient connues, mais l’institution n’a pas su protéger. La comparaison n’est pas exacte, les contextes diffèrent, mais un fil commun existe : l’absence de réaction, la peur de prendre des décisions fortes, la tentation d’attendre que le temps passe. Or l’attente tue.
Pourtant, les outils existent. Les textes prévoient la prévention, les procédures de signalement, la protection fonctionnelle, les cellules d’écoute, les sanctions. Mais trop souvent, ces dispositifs restent lettre morte faute de volonté d’appliquer la règle. La question n’est pas tant juridique qu’humaine et managériale : il faut du courage pour reconnaître une souffrance, prendre des mesures de soutien, et sanctionner les comportements abusifs, y compris quand ils émanent de personnes en position de pouvoir.
La mort de Caroline doit être un électrochoc. Elle rappelle que le harcèlement n’est pas une querelle banale, mais une violence qui tue. Elle interpelle chacun d’entre nous : responsables politiques, employeurs publics, managers, collègues, citoyens. Elle nous oblige à agir sans délai pour que d’autres ne connaissent pas la même issue tragique.
Marcher en silence derrière la photo de Caroline, à Aurillac, fut un moment de recueillement et de douleur. Mais ce silence ne doit pas durer. Il doit se transformer en action, en protection réelle, en engagement durable. Pour que plus jamais une directrice d’école, une infirmière, un agent technique ou un cadre administratif ne soit abandonné face à la violence du harcèlement.
Caroline restera dans nos mémoires. Son histoire, douloureuse et injuste, doit nous donner la force d’empêcher que d’autres vies soient brisées de la même manière.
Thierry Gibert
Coordinateur CFDT Cantal
Thierry Gibert est coordinateur de la CFDT Cantal. À ce titre, il anime la coordination des syndicats CFDT présents dans le département et contribue à porter une parole syndicale locale, en lien avec les réalités sociales et professionnelles du territoire. Chaque syndicat départemental, régional ou national ayant compétence sur un champ professionnel présent dans le Cantal conserve pleinement son autorité et sa représentativité propres.


















