Il a été sans doute le plus américain des journalistes français. Philippe Labro, figure éclectique du journalisme, de la littérature et du cinéma, s’est éteint le 4 juin 2025 à l’âge de 88 ans. Auteur prolifique, réalisateur, chroniqueur, animateur, il aura traversé les époques avec une élégance rare et une curiosité insatiable.
Né à Montauban le 27 août 1936, il passe son adolescence à Paris avant de partir étudier aux États-Unis grâce à une bourse obtenue à 18 ans. À l’université Washington and Lee, en Virginie, il découvre l’Amérique profonde qui deviendra une source d’inspiration permanente. Il y cultive son goût de l’observation et de la liberté, avant de revenir en France entamer une carrière brillante dans les médias. Il sera grand reporter, correspondant à Dallas lors de l’assassinat de Kennedy, animateur radio sur Europe 1, directeur de RTL, éditorialiste sur C8, et l’une des plumes les plus respectées de la presse française. Il côtoie les grands noms de son époque, de Malraux à Belmondo, de Johnny Hallyday à Claude Lelouch, avec lequel il collaborera régulièrement.
Parallèlement à sa carrière journalistique, il mène une œuvre littéraire dense, souvent autobiographique. L’Étudiant étranger (1986), qui retrace son année américaine, lui vaut le prix Interallié. Il poursuit avec Un été dans l’Ouest, puis Le Petit Garçon, inspiré de son enfance pendant la guerre. Dans Tomber sept fois, se relever huit (2003), il raconte sans fard sa dépression et sa résilience, un ouvrage salué pour sa sincérité. Il est également l’auteur, sous pseudonyme, de Des cornichons au chocolat, roman générationnel au succès inattendu, donnant voix à une adolescente de 13 ans. Certains de ses livres ont dépassé le cadre littéraire pour devenir des repères de vie, souvent cités, parfois offerts comme on offre un conseil.
Cinéaste, il réalise plusieurs films avec Jean-Paul Belmondo, dont L’Héritier ou L’Alpagueur. Il touche à tout, toujours avec rigueur, qu’il s’agisse d’écrire des chansons, de produire des documentaires ou de prendre la parole sur le monde tel qu’il va mal. Il laisse l’image d’un homme libre, lucide, parfois amer mais toujours digne. Son héritage est celui d’un humaniste, amoureux de la langue française, et d’un observateur du réel qui croyait encore à la transmission et à la vérité. Avec lui, c’est une certaine idée du journalisme, éclectique et curieuse, qui disparaît. Et même une certaine de la France qui s’éclipse, une France cultivée, audacieuse, et profondément élégante.
Michel Taube