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05H36 - lundi 4 mars 2019

VERBATIM : Plaidoyer pour une « European way of life » : Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), présidente de la CDU et possible successeur de Merkel à la chancellerie allemande, répond à la Lettre de Macron aux Européens

 

Opinion Internationale lance le 4 mai une rubrique Europe, au lendemain de la clôture du dépôt des listes candidates aux élections européennes. Ayant publié la tribune d’Emmanuel Macron, et par souci de pluralisme, nous publions le verbatim des réponses de Jean-Luc Mélenchon, Laurent Wauquiez et AKK (Annegret Kramp-Karrenbauer), présidente de la CDU et pressentie pour succéderà Angela Merkel à la Chancellerie, ainsi que des éditos de la Rédaction.

Dans sa tribune – réponse à la Lettre d’Emmanuel Macron aux Européens, la présidente du premier parti allemand se révèle en phase avec le président français… du moins sur les grands principes.

Selon Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), fière de ses acquis et du mode de vie de ses citoyens, solide sur ses frontières externes tout en tirant sa légitimité des Etats-nations, l’Europe doit mieux prendre en compte les aspects économiques et sociaux, remédier à la distorsion de concurrence et à l’évasion fiscale, améliorer sa capacité d’action en matière de politique extérieure et de sécurité.

Mais AKK refuse le centralisme et l’étatisme européens, la communautarisation des dettes, l’européanisation des systèmes de protection sociale et l’instauration d’un salaire minimum européen.

 

Faisons l’Europe comme il faut (Getting Europe right)

Le Président français Emmanuel Macron a lancé il y a quelques jours un appel aux citoyens d’Europe, dans lequel il explique qu’il faut agir de toute urgence. Il a en cela parfaitement raison, car des questions pressantes se posent à nous : Voulons-nous que notre sort dépende bientôt de décisions stratégiques prises en Chine ou aux Etats-Unis, ou bien souhaitons-nous participer activement à l’élaboration des règles du vivre-ensemble du monde de demain ? Voulons-nous apporter une réponse commune à un gouvernement russe qui semble vouloir tirer sa puissance de la déstabilisation et de l’affaiblissement de ses voisins ? Enfin, voulons-nous nous soumettre aux visions sociétales et politiques d’autres pays, ou bien voulons-nous défendre activement notre « European way of life », notre mode de vie européen, fait de démocratie représentative, de parlementarisme, d’Etat de droit, de libertés individuelles et d’économie sociale de marché, pour nous-même et dans le monde entier ? A toutes ces questions, il ne peut y avoir qu’une seule réponse : Notre Europe doit être plus forte.

L’Europe est à ce jour une réussite incomparable.

Je fais partie de cette génération heureuse qui n’a pas connu la guerre. Nous en sommes redevables à une Communauté européenne qui a su tirer les enseignements de l’histoire et se tourner délibérément vers l’avenir. Nous, les Européens, vivons dans l’une des régions les plus riches et les plus sures du monde, parce que nous réglons nos différends à la table des négociations, et parce qu’avec les relations étroites qui nous unissent au sein de l’Alliance transatlantique, nous avons érigé un mur de protection solide contre les menaces extérieures.

Et pourtant, nombreux sont ceux qui portent sur l’Europe un regard inquiet. Mais il ne faut pas se méprendre sur ce que veulent les citoyennes et les citoyens d’Europe. Jamais l’idée européenne n’a connu de tels niveaux d’approbation. Mais ce qui manque à l’Europe selon ses citoyens, ce sont la clarté, le cap, et la capacité d’agir sur des questions essentielles de notre époque ; la clarté quand l’Union européenne semble avoir besoin d’une éternité pour aboutir à une analyse commune des évènements qui se déroulent au Venezuela ; le cap lorsqu’il faut préparer l’avenir de l’économie numérique et du marché du travail numérique ; la capacité d’agir face aux migrations, au changement climatique, au terrorisme et aux conflits internationaux.

Lors des prochaines élections au Parlement européen, il ne peut donc pas s’agir de défendre le statu quo imparfait contre les invectives des populistes. La question du « pour » ou « contre » l’Europe ne se pose pas du tout pour la plupart des Européens. Au lieu de cela, il nous faut débattre de différents projets sur la manière de rendre l’UE capable d’agir demain sur les grandes questions qui nous agitent, et de poursuivre dans l’avenir l’histoire d’une réussite unique, dans un contexte mondial en évolution.

Le premier enjeu ce-faisant est de préserver les fondements de notre prospérité. Dans le marché unique européen comme ailleurs, il faut produire des richesses avant de les distribuer. En créant l’Union économique et monétaire et en stabilisant la zone euro, nous nous sommes engagés sur la bonne voie. Si nous voulons que nos entreprises européennes continuent d’être financées par des banques européennes, nous devons créer un marché intérieur des banques. En parallèle, nous devons miser sans ambages sur un système reposant sur la subsidiarité, la responsabilité individuelle et les devoirs qui en découlent. Le centralisme européen, l’étatisme européen, la communautarisation des dettes, l’européanisation des systèmes de protection sociale et du salaire minimum seraient la mauvaise voie. En revanche, nous devons aspirer à la convergence, au rapprochement des conditions de vie au sein de chacun des pays membres et entre les pays membres. Voilà pourquoi il nous faut une stratégie de promotion de la convergence, qui associe habilement les démarches nationales et européenne.

Nous devons à présent trouver une manière européenne d’aborder les grandes questions : grâce à quelles technologies voulons-nous protéger notre climat tout en assurant le bon fonctionnement de l’économie ? Avec quels systèmes intelligents voulons-nous nourrir des milliards de personnes et préserver la Création ? Quels sont les résultats de nos recherches qui débouchent sur de nouveaux médicaments et de nouveaux traitements pour vaincre les maladies ? Quelle est notre réponse au défi d’une mobilité à la fois respectueuse du climat et individuelle ? Les projets communs de recherche, développement et technologie devraient être financées par un budget européen de l’innovation, et être labélisés « Future made in Europe ». Une nouvelle capacité stratégique européenne pour les technologies d’avenir ne doit pas pour autant signifier l’élimination des règles que nous avons érigées pour garantir une concurrence loyale. Mais elle doit donner à l’Europe les moyens d’agir de façon compétitive dans le monde, tandis que d’autres faussent la concurrence au moyen de mesures protectionnistes ou de monopoles d’Etat.

L’Europe a une responsabilité prépondérante en matière de protection contre le changement climatique à l’échelle mondiale. Comme pour la stabilité financière, il en va des conditions de vie des générations futures. Mais simplement fixer des valeurs limites et des objectifs européens ambitieux ne nous mènera à rien. Cette approche ne rencontrera l’assentiment d’une grande partie de la population que si nous parvenons à prendre en compte les aspects économiques et sociaux de telle sorte que l’emploi et la puissance économique soient préservés et que s’ouvrent de nouvelles perspectives de développement. C’est pourquoi, pour continuer d’avancer, il nous faut un pacte européen de protection du climat, négocié avec la participation d’acteurs européens et nationaux garants d’une légitimité démocratique, entre les entreprises, les salariés et la société.

Nous devons aussi mettre en œuvre une bonne fois pour toutes nos efforts communs pour mettre un terme à la distorsion de concurrence que cause l’évasion fiscale en Europe. Il faut pour cela combler les lacunes de la fiscalité européenne et mettre en place une imposition de l’économie numérique reposant sur le modèle de l’OCDE.

C’est la seule façon d’amener les grands groupes internationaux à verser leur juste contribution à notre économie sociale de marché européenne, comme le font nos petites et moyennes entreprises.

Je suis entièrement d’accord avec Emmanuel Macron : notre sentiment de communauté et de sécurité en Europe nécessite des frontières extérieures sures. Nous devons parachever Schengen. Pour cela, l’UE doit parvenir à un accord sur une protection sans faille des frontières.

Partout où la frontière extérieure ne peut pas être protégée uniquement avec des moyens nationaux, il faut développer rapidement Frontex pour en faire une police aux frontières opérationnelle, et la déployer. Dès à présent, aux frontières de la zone Schengen, il faut vérifier l’existence d’une demande d’asile, d’un statut de réfugié ou d’un autre justificatif d’entrée. Pour cela, nous avons besoin d’un registre électronique des entrées et sorties du territoire, et nous devons étendre le système d’information Schengen, afin que les autorités nationales et européennes puissent utiliser un même système de données unique et commun.

L’Europe est attachée à sa tradition humanitaire et offre sa protection aux personnes victimes de persécutions politiques et aux réfugiés qui fuient les zones de conflit. Les solutions européennes auxquelles nous aspirons pour l’accueil des réfugiés et le renvoi des migrants économiques n’ont pas pu être appliquées jusqu’à présent. Mais les ébauches de solutions nationales ne pourront pas réussir sans remise en question des principes de Schengen. Nous allons donc devoir réorganiser la politique migratoire commune de l’UE selon le principe des vases communicants. Chaque Etat membre doit apporter sa contribution à la lutte contre les causes des migrations, à la protection des frontières et à l’accueil des migrants. Mais plus il consacre d’efforts à l’un de ces domaines, moins sa contribution devra porter sur les autres champs d’action.

L’Union européenne doit de toute urgence améliorer sa capacité d’action en matière de politique extérieure et de sécurité. Nous devons demeurer transatlantiques tout en devenant plus européens. L’EU devrait à l’avenir être représentée par un siège permanent commun au Conseil de sécurité des Nations Unies. Parallèlement, nous devrions mettre en place un Conseil européen de sécurité intégrant les Britanniques pour y adopter des positions de politique extérieure communes et organiser notre action commune en matière de politique de sécurité. D’ailleurs, en Allemagne aussi, un Conseil de sécurité national destiné à élaborer des directives stratégiques et à coordonner les politiques en matière d’affaires étrangères, de sécurité, de défense, de développement et de commerce extérieur est également une idée intéressante.

Dès à présent, l’Allemagne et la France travaillent ensemble au projet d’un futur avion de combat européen, et d’autres nations sont invitées à les rejoindre. La prochaine étape pourrait consister en un projet hautement symbolique, la construction d’un porte-avions européen commun, pour souligner le rôle de l’Union européenne dans le monde en tant que puissance garante de sécurité et de paix.

Nous devons aussi créer de nouvelles perspectives supplémentaires avec et pour l’Afrique. Dans l’intérêt des Africains comme dans notre propre intérêt, il nous faut établir un partenariat stratégique d’égal à égal. Concrètement, un tel partenariat peut aussi signifier que l’ouverture de notre marché aux produits agricoles africains et la baisse des règlementations et des subventions dans ce domaine ne doivent plus être des sujets tabous.

Aucun super-Etat européen ne saurait répondre à l’objectif d’une Europe capable d’agir. Le fonctionnement des institutions européennes ne peut revendiquer aucune supériorité morale par rapport à la coopération entre les gouvernements nationaux. Refonder l’Europe ne se fera pas sans les Etats-nations : ce sont eux qui fondent la légitimité démocratique et l’identification des peuples.

Ce sont les Etats membres qui formulent leurs propres intérêts et en font la synthèse à l’échelon européen. C’est de cette réalité qu’émane le poids des Européens sur la scène internationale. L’Europe doit tout à la fois miser sur la subsidiarité et la responsabilité de chaque Etat-nation et être capable d’agir dans l’intérêt commun. C’est pourquoi notre Europe doit s’appuyer sur deux piliers égaux, la méthode intergouvernementale et la méthode communautaire. Nous devons aussi prendre des décisions trop longtemps différées et abolir les anachronismes. Cela vaut notamment pour le regroupement du Parlement européen en son siège à Bruxelles et pour l’imposition des revenus des fonctionnaires de l’UE.

De nombreux pays membres sont mis au défi de maintenir la cohésion de leurs sociétés rendues plus hétérogènes par l’immigration. C’est particulièrement le cas face aux courants de l’Islam incompatibles avec notre conception d’une société ouverte. L’une des grandes questions de l’avenir est donc de savoir si l’Europe peut impulser l’émergence une forme d’Islam compatible avec nos valeurs. Pour ce-faire, nous appuyant sur la tradition des Lumières et de la tolérance, nous devrions créer des « chaires Nathan le Sage » pour former nos propres imams et nos propres enseignants dans cet esprit.

Après la chute du mur il y a près de trente ans, des millions d’habitants d’Europe centrale sont devenus de nouveaux membres de cette communauté, et d’autres aimeraient nous rejoindre. Aux Etats membres d’Europe centrale et orientale, nous devons témoigner notre respect pour leur démarche et leur contribution spécifique à notre histoire et notre culture européennes communes. Pour autant, il ne doit pas y avoir le moindre doute sur le caractère non-négociable de nos valeurs et de nos principes essentiels. Si nous avons le courage de parler aujourd’hui concrètement des évolutions des traités européens, « l’élite de Bruxelles », « l’élite occidentale », ou la supposée « élite pro-européenne » se peuvent pas s’en tenir à un entre-soi. Nous n’obtiendrons la légitimité démocratique de notre nouvelle Europe que si nous impliquons tout le monde dans le débat.

Nous ne devons pas avoir peur de ces discussions. L’afflux de touristes de tous les pays vers nos métropoles européennes témoigne de l’attrait de notre « mode de vie européen » partout dans le monde, tout comme les efforts de nos voisins pour nous rejoindre ou se rapprocher de nous, ou encore l’afflux d’étudiants étrangers et les start-ups qui veulent s’établir en Europe. L’Europe suscite l’envie de beaucoup de personnes à travers le monde. D’ailleurs, même dans la Russie de Vladimir Poutine, les gens veulent vivre « à l’européenne ».

Le monde est en mouvement et l’Europe est face à un choix. Mon choix est clair : nous devons faire l’Europe comme il faut, maintenant.

Nous avons besoin d’atouts stratégiques pour notre industrie, nos technologies et nos innovations, d’un sentiment de sécurité pour nos concitoyens européens, et de capacités de politique extérieure et de sécurité communes pour faire entendre nos intérêts.

Nous devons nous atteler à la tâche maintenant, avec confiance, et ne pas laisser la crainte permanente des « populistes » entamer notre détermination.

 

Annegret Kramp-Karrenbauer

Présidente de la CDU

Lire l’édito de Michel Taube sur le plan B de Jean-Luc Mélenchon

Lire la réponse d’Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), présidente de la CDU, à la Lettre aux Européens d’Emmanuel Macron

Lire la réponse de Jean-Luc Mélenchon à la Lettre aux Européens d’Emmanuel Macron

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