Abolir la peine de mort
10H04 - mercredi 3 avril 2013

De la Californie au Maryland : vers une stratégie abolitionniste nationale ?

 

Pour de nombreux observateurs européens, la défaite lors du referendum du 6 novembre dernier de la Proposition 34, qui prévoyait le remplacement de la peine de mort en Californie par une sentence de prison à vie sans possibilité de sortie, avait pu être interprétée comme un échec grave, susceptible de renverser la dynamique de succès enregistrés depuis 2007. Grâce à une campagne bien financée, l’appui de nombreux leaders locaux et internationaux, et dans un contexte de crise budgétaire, certains avaient espéré que la Proposition 34 serait adoptée, marquant ainsi la fin de la peine de mort en Californie. A cette inquiétude ont succédé soulagement et enthousiasme suite à la décision du Maryland, le 15 mars 2013, d’abolir la peine de mort, faisant du Maryland, le dix-huitième Etat abolitionniste.

La proposition 34, moteur du changement ?

Comment expliquer ces différents résultats ? Tout d’abord, il faut souligner que peu de leaders abolitionnistes américains ont fait une analyse pessimiste du résultat californien. Au contraire,  les résultats obtenus ont été perçus comme extrêmement encourageants. Il s’agit tout d’abord d’examiner l’évolution historique du soutien populaire pour la peine de mort et se rappeler qu’en 1978, seulement 28% de Californiens souhaitaient l’abolition. Ce chiffre atteint aujourd’hui 48%, dans un contexte national et local où les crispations économiques et sociales sont généralement peu favorables aux sentiments abolitionnistes. Le vrai scoop est plutôt que la Proposition 34 soit passée si près du but, qu’elle ait retenu l’attention des médias nationaux et que de nombreux hommes et femmes politiques à travers le pays aient observé que les Etats-Unis étaient passés a quelques points de pourcentage de vote d’une réduction de 25% des effectifs des couloirs de la mort.

De nouvelles perspectives de sécurité publique

Pour les européens, dirigeants ou activistes,  cherchant à mieux comprendre la situation de la peine de mort aux Etats-Unis et souhaitant contribuer au combat abolitionniste, il est important de souligner que la campagne en faveur de la Proposition 34 a réussi a recentrer le débat sur des questions de sécurité publique et de justice. Les partisans de l’abolition ont ainsi insisté sur la réallocation de ressources vers des mesures alternatives, plus efficaces, de prévention de la criminalité et sur les risques d’exécution de détenus innocents. Ces deux arguments ont acquis beaucoup de poids en Californie, ainsi que dans de nombreux autres Etats, comme notamment le Maryland, où Kirk Bloodsworth, ancien prisonnier exonéré, est devenu une figure de proue de la campagne abolitionniste.

Une stratégie locale privilégiée

On peut s’interroger alors sur le besoin d’élever cet argument au niveau fédéral, en construisant une stratégie et un discours national reposant sur les deux piliers de sécurité et justice. De nombreux européens, dont l’héritage abolitionniste est profondément marqué par cette approche « de haut en bas » soutiendraient avec enthousiasme une telle approche. Plusieurs réalités s’opposent à cette ambition. Il est notamment important de  rappeler que, comme la plupart des questions de justice criminelle,  la peine de mort est essentiellement une affaire locale, réglementée au niveau de chaque Etat. De plus, l’agenda national est plutôt chargé ces jours-ci et la situation politique vivement polarisée et paralysée. Ainsi, pour certains, tout effort national qui ne s’ancrerait pas dans les initiatives locales pourrait même être contre-productive. Une stratégie dite nationale doit au contraire se « constituer »  d’une série de victoires Etat par Etat. Cela implique que des coalitions nationales de ressources politiques, techniques (avocats, etc.), analytiques et financières se construisent et se concentrent sur les Etats « mûrs », sur la base d’une stratégie adaptée a chacun de ces Etats.

La « constitution » d’une stratégie nationale sur la base d’efforts locaux permettrait alors la consolidation et une institutionnalisation de victoires dans chaque Etat en un argument constitutionnel au niveau fédéral, appuyé dès lors par le principe de “désuétude” selon lequel une mesure peut être déclarée inconstitutionnelle si elle n’est que très rarement mise en pratique. C’est ce principe qui a d’ailleurs sous tendu les décisions de la Cour Suprême sur d’autres questions sociales. Bien qu’il soit prématuré aujourd’hui d’évoquer les détails de cette stratégie et notamment du nombre minimum d’Etats abolitionnistes à atteindre avant d’employer le principe de désuétude, la très grande baisse, ces dernières années, du nombre de condamnations à mort signifie que le nombre d’exécutions devrait également diminuer dans les prochaines années, donnant ainsi à l’argument constitutionnel de plus en plus de pertinence.

Certains experts estiment aussi qu’un tel cadre argumentatif pour remettre en cause la constitutionalité de la peine de mort permettrait également de contourner les sources de paralysie du système de gouvernance américain, voire même de les exploiter a bon escient.  Ce système en effet permet à chaque branche du gouvernement d’éviter d’assumer pleinement sa responsabilité pour la mise a mort d’un être humain tout en affirmant son soutien a la peine capitale.  Ironiquement, une décision de la Cour Suprême qui invaliderait la peine de mort sous prétexte de désuétude permettrait à chacun de continuer une même sorte de double jeu, regrettant la décision mais rejetant toute responsabilité pour cette décision.

L’engagement de la Communauté internationale déterminant pour les perspectives abolitionnistes

Pour l’instant, les initiatives au niveau local continueront, avec un effort de renforcement du lien entre sécurité publique et justice et en suivant la même approche pragmatique qui a fait ses preuves depuis une décennie. Quel rôle alors pour la Communauté internationale, et notamment européenne qui penche pour des engagements plus philosophiques ? Dans la lancée de sa précieuse participation à la campagne pour la Proposition 34, la Communauté internationale pourrait combiner plusieurs tactiques, dont l’apport de témoignages de représentants des forces de l’ordre, l’appui financier aux initiatives de base, ou bien encore la mise en avant d’encouragements économiques comme les investissements préférentiels dans les Etats abolitionnistes. Le dialogue entre les abolitionnistes américains et leurs soutiens internationaux doit également s’amplifier et définir, Etat par Etat, le type d’engagement le plus efficace, dans le cadre de cette stratégie au cas par cas qui, un jour, dans la cacophonie du débat politique national, et furtivement peut être, atteindra ses objectifs a travers tout le pays.

Marc Jacquand