Abolir la peine de mort
04H03 - mercredi 10 octobre 2012

La peine de mort résiste au Printemps arabe

 

Le Printemps arabe emmènera-t-il les pays de la région sur le chemin du respect des droits de l’homme ? Illustration concrète : la peine de mort recule partout dans le monde sauf dans le monde arabo-musulman (sans oublier la Chine et le Japon).

Les révolutions du printemps arabe ont éveillé de nombreux espoirs de voir émerger de nouveaux îlots de progressisme des droits humains dans l’océan d’immobilisme que constituait jusqu’à présent le Moyen Orient qui était la deuxième région du monde où avaient lieu le plus d’exécutions.

On espérait que l’abolition de la peine de mort pourrait être soutenue par des composantes nouvelles au sein de la société, avec une plus grande liberté de mouvement accordée aux organisations issues de la société civile des pays en transition démocratique.

Espoir aussi que le changement au niveau des exécutifs porterait au pouvoir des dirigeants partageant de longue date les valeurs démocratiques, comme le président tunisien Moncef Marzouki, issu notamment du militantisme des droits de l’Homme. L’accession au pouvoir de partis islamistes tels que les frères musulmans en Egypte ou le PJD au Maroc (dont le secrétaire général, le Dr Othmani, avait dit dès 2004 qu’il ne s’opposerait pas à une loi d’abolition), dont les militants ont subi sous les années de dictature, l’arbitraire et la condamnation à la peine de mort pour des raisons politiques, a aussi pu être interprétée comme le signe d’une marge de manoeuvre nouvelle pour les militants anti-peine de mort.

Force est pourtant aujourd’hui de constater que les nouveaux exécutifs sont aussi rétifs au changement en la matière que leurs prédécesseurs. La Tunisie, l’Egypte et la Libye, pays du printemps arabe, membres de la Ligue arabe restent diversement avancés dans le processus d’abolition.

La Tunisie à l’instar de l’Algérie, du Maroc prévoit la peine de mort dans sa législation sans toutefois l’appliquer dans les faits. Ces pays observent un moratoire de fait, n’ayant procédé à aucune exécution judiciaire depuis au moins dix ans. Le Maroc est avec l’accession au statut européen de “partenaire pour la démocratie” en pointe, suivi par la Tunisie, qui a signé et ratifié en juillet 2011 le le statut de la Cour Pénale Internationale excluant la peine de mort de son arsenal de condamnations. Ces signes encourageants envoyés en 2011 n’ont néanmoins pas été suivis d’autres effets. Rien depuis l’élection de l’Assemblée constituante en octobre 2011 et la formation du gouverment, dominé par le parti islamiste Ennahdha, si ce n’est le 3 juin 2012, des déclarations ambiguës du chef du parti islamiste Rached Ghannouchi, assurant que son parti «oeuvre pour une société tunisienne moderne, mais par la voie de l’Islam», et ajoutant que «l’abolition de la peine de mort est contraire aux préceptes de la Charia islamique».

La désillusion est aussi importante en Libye qui conserve un statut quo opaque. Ce pays fait partie avec l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, l’Irak, l’ran, la Jordanie, le Koweit, le Liban, Oman, la Palestine, le Qatar, la Syrie et le Yémen des pays membres de la Ligue arabe (dont aucun n’a aboli la peine de mort) qui pratiquent encore à des degrés divers, la peine de mort. La peine de mort reste prescrite pour de nombreux crimes, mais il reste difficile d’évaluer le nombre de condamnations prononcées dans un environnement encore très instable : Human Rights Watch dans son rapport 2011 pointe le manque d’informations disponibles. Restent la condamnation très médiatisée des dirigeants déchus du régime : les images du corps du colonel Khadhafi, livré á la vindicte populaire et sauvagement exécuté hors de tout cadre légal, ont fait le tour des médias ; le procès qui s’ouvre de Saif Al Islam lève de nouveau la possibilité d’une condamnation à mort pour le fils Khadhafi.

Désillusions aussi en Egypte. La période révolutionnaire début 2011 a vu le Conseil Supérieur des Forces Armées élargir le champ d’application de la peine de mort. Le nouveau gouvernement élu n’a de plus montré aucun signe encourageant dans le sens d’une annulation de ces mesures. Cet état de fait semble devoir se prolonger alors que, de manière similaire à la Tunisie, l’exécutif islamiste égyptien se fait doubler sur sa droite par les salafistes, portés par leur bon score aux élections de l’Assemblée constituante. Plus radicaux, ils sont favorables à une application de la peine de mort telle que prescrite par une lecture littérale de la Loi islamique

Le mouvement vers l’aboliton de la peine de mort se heurte en effet non seulement á des réticences politiques mais aussi à un problème d’ordre juridique dans les pays du monde arabe. Nombre de Constitutions reposent sur la Charia, qui autorise la peine de mort, bien qu’elle proclame également le droit à la vie et le devoir de la protéger. Dans ces pays, une abolition complète, c’est à dire irréversible de la peine de mort, caractérisée par son inscription dans la Constitution et la ratification du protocole 2 du Pacte international des droits civils et politiques, semble difficile car elle entrerait en contradiction avec les normes édictées par la Loi islamique. C’est dans l’optique de contourner ces difficultés que les pays de la Ligue arabe ont adopté au sein de cette structure, leurs propres texte internationaux encadrant l’utilisation de la peine de mort selon les principes islamiques. Cette stratégie pose néanmoins à long terme, le problème d’un ordre juridique international à deux vitesses concernant le respect des droits de l’Homme.

Le bilan des effets du printemps arabe sur l’application de la peine de mort dans les pays du Moyen Orient est donc mitigé. Comme le souligne Human Rights Watch dans son Rapport 2012 : “les soulèvements qui ont fait les gros titres des médias tout au long de l’année 2011 ont occulté d’autres problèmes graves qui pouvaient avoir des conséquences désastreuses pour les droits humains au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au-delà”. Si la révolution tunisienne a inspiré les manifestants en Syrie, en Egypte, au Bahrein et Iran, elle a ainsi également poussé les dirigeants de ces pays à muscler l’arsenal de leurs peines afin de prévenir ou de mater les débordements. A Bahrein, deux hommes ont été arrêtés pour le meurtre de deux policiers lors des manifestations de mars, ont été reconnus coupables par la Cour de sûreté nationale et condamnés à mort le 28 avril. En Syrie, le président Bachar Al Assad a promulgué fin 2011 une loi condamnant à la peine de mort toute personne jugée coupable de fournir des armes aux groupes terroristes, augmentant ainsi les nombreux instruments de répression déjà à disposition d’un régime enfermé dans une spirale de violence. Dans ce pays en guerre civile, il reste de plus très difficile d’évaluer le nombre de personnes exécutées. En Iran, les exécutions publiques sont répandues et utilisées à des fins d’intimidation sous le prétexte de la nécessaire punition des criminels, y compris pour les mineurs. Dans ces pays où la souveraineté du pouvoir est menacée, la peine de mort est plus que jamais un instrument pour s’y arrimer.

Pour reprendre une formule de l’historien Jacques Chiffoleau : “ce que l’histoire de la peine capitale nous apprend surtout, c’est la relation étroite qui existe non pas entre le nombre d’homicides ou de violences et les châtiments capitaux censés les punir mais bien plutôt entre ce droit exceptionnel de donner la mort et la construction d’une souveraineté.” Les Etats issus du Printemps arabe ou en butte à ses effets auraient-ils besoin d’affirmer leur nouvelle souveraineté jusqu’à renforcer l’arsenal de la peine de mort ?
Emma Ghariani