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05H34 - mercredi 10 octobre 2012

Ali Ferzat : « Je suis en désaccord permanent »

 

L’exposition « Cartoonists for peace : dessiner la démocratie », premier évènement de la partie « off » du Forum mondial de la démocratie, s’est ouverte samedi 6 octobre avec pour invité d’honneur le caricaturiste syrien et prix Sakharov 2011 Ali Ferzat. Dénonçant systématiquement dans ses dessins les crimes et les mensonges du régime de Bachar el-Assad, il est passé à tabac le 25 août 2011 par des agents des services de sécurité syriens. Ils lui brisent les mains et le blessent gravement à l’œil gauche. Aujourd’hui remis, Ali Ferzat témoigne à Strasbourg.

 

Jusqu’où peut aller la caricature ? A-t-elle le droit de choquer ?

La caricature, comme vous le savez, est aussi une forme de provocation. Mais elle ne crée un choc que lorsqu’elle a en face d’elle un phénomène foncièrement négatif. Face à des mouvements, des phénomènes plus positifs, elle ne dérange personne. Lorsque l’on voit apparaître des chocs et des confrontations, c’est souvent dû à la corruption de ceux qui sont critiqués. Et quand on essaie de mettre en lumière certains aspects de cette corruption, c’est au contraire un pas vers la paix. En un sens, seule la vérité blesse.

Posez vous vous-même des limites à la caricature ? Est-ce que vous vous autocensurez ?

Bien sûr qu’il existe des limites. Il est tout à fait normal de critiquer les musulmans, les chrétiens, les juifs, mais il ne s’agit pas de critiquer le Ciel. On ne critique pas le ciel.

Est-ce que dessiner est aussi un moyen d’aider à lutter actuellement contre la peur de la dictature en Syrie ?

En fait, trois mois avant le début de la révolution, je commençais déjà à ressentir la nécessité de faire des caricatures contre le régime syrien, contre les autorités et contre les services de renseignement, pour justement casser cette barrière de la peur. Et j’en ai payé le prix, comme vous le savez.

Justement, vous vous êtes rétabli extraordinairement vite après votre agression. Où avez-vous puisé une telle force ?

Je crois que je comprends mieux maintenant la raison pour laquelle plus il y a de morts et plus les gens sortent dans les rues syriennes. Le peu de peur qu’il restait a complètement disparu. C’est pour cette raisons que je me suis rétabli aussi vite. Lorsque l’on n’a plus rien à perdre, on se bat encore plus fort.

Espérez-vous retourner bientôt en Syrie ? Avez-vous déjà des projets ?

J’ai quelques projets déjà commencés et que j’espère pouvoir poursuivre quand je retournerai en Syrie. J’ai notamment un projet de film d’animation. J’espère aussi pouvoir rouvrir mon journal Al-Doumri que les autorités syriennes ont fermé en 2003.

Comment vivez-vous l’inaction et le silence de la communauté internationale vis-à-vis de ce qui se passe en Syrie ?

Depuis la révolution syrienne, certaines choses nous ont très clairement été dévoilées, que nous ne percevions pas auparavant. Pendant de nombreuses années, nous avons pensé que le Conseil de sécurité, les ONGs, les politiques travaillaient vraiment pour la démocratie. Mais nous découvrons que cette communauté internationale est complice du massacre du peuple syrien par sa façon de ne rien faire de plus que de gagner du temps.

Contrairement à la Libye, l’opposition syrienne est divisée. N’est-ce pas aussi l’une des choses qui empêchent une intervention internationale ?

Je crois que le problème est ailleurs. On peut interpréter de manière très différente les révolutions du monde arabe. Certaines ont duré deux ou trois mois, alors qu’en Syrie cela fait maintenant un an et demi que l’on est dans une sorte de révolution continue. C’est peut-être parce que l’Occident n’a pas de grands intérêts en matière de ressources naturelles en Syrie qu’il est moins interessé à mettre fin au conflit.

Mais en même temps, comme le peuple syrien, je ne réclame pas d’intervention militaire. Tout ce que nous avons demandé, ce sont des couloirs humanitaires pour protéger les gens et pouvoir leur apporter de la nourriture et des médicaments.

Les lendemains de révolution sont parfois difficiles. Serez-vous là pour critiquer le nouveau pouvoir syrien, s’il change ?

J’ai toujours dit que l’art et la politique sont deux choses très différentes. L’art est mû par une éthique, alors que la politique bouge en fonction d’intérêts. Toutefois, je tiens à dire que je suis en désaccord permanent. J’étais en désaccord avec ceux qui étaient là avant, je suis en désaccord avec ceux qui sont là maintenant. Et dans l’avenir, je serai aussi en désaccord avec ceux qui viendront.

 

Propos recueillis par Yannick Le Bars

 

L’exposition « Cartoonists for peace : dessiner la démocratie » se tient à Strasbourg du 6 au 20 octobre dans la Grande salle de l’Aubette, place Kléber. Entrée libre.

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