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13H59 - lundi 6 février 2012

Jusqu’où ira Abdoulaye Wade ?

 

Douze années de pouvoir n’ont pas fatigué Abdoulaye Wade. A 85 ans, le président sénégalais entend briguer un troisième mandat aux élections du 26 février prochain. La validation par le Conseil Constitutionnel de sa candidature, très controversée, a plongé le pays dans un climat tendu, suscitant la colère de nombreux Sénégalais.

 

Les répressions ne se sont pas fait attendre, et quatre personnes sont mortes dans ce contexte. Chaque effort du président pour garder le pouvoir ajoute à son discrédit. Après un bilan mitigé, l’homme qui incarnait le changement apparaît désormais comme un mégalomane aux aspirations monarchiques.

 

L’homme du changement a mal vieilli

Le onument de la renaissance africaine, installé sur les hauteurs de Dakar, est plus élevé que la statue de la liberté. © Rebecca Blackwell

Le onument de la renaissance africaine, installé sur les hauteurs de Dakar, est plus élevé que la statue de la liberté. © Rebecca Blackwell

En 2000, lorsque Wade remporte les élections, il incarne le renouveau pour un Sénégal usé par quarante années de socialisme. Fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS), premier parti libéral du pays, il fait sa campagne sous le slogan « Sopi » qui signifie changement en wolof, et bat le président sortant Abou Diouf au deuxième tour.

Une grande partie de la population voit en lui une réponse aux problèmes sociaux du pays, à la pauvreté et au chômage des jeunes.

Wade entend faire entrer le pays dans une nouvelle ère et les réformes ne tarissent pas. Soutenue par les capitaux étrangers, la croissance s’accélère et se maintient autour de 4 % tout au long de ses 2 mandats. Les recettes budgétaires s’améliorent et l’inflation est maîtrisée. Les infrastructures s’améliorent, notamment l’accès à l’eau potable, à l’électricité, ainsi que les routes. De nombreuses écoles et dispensaires sont construits. Le Sénégal change de visage avec de grands projets d’urbanisme, comme le nouveau port de Dakar à la modernité clinquante.

Dakar arbore même, depuis le cinquantenaire de l’indépendance célébré en avril 2010, un monument dédié à la renaissance africaine. Mais la statue de bronze de 52 mètres de haut, représentant un couple et un enfant tournés vers le ciel, est raillée sinon critiquée. Décidée par Wade et financée par la Corée du Nord, le monument pharaonique ne symbolise que trop bien la mégalomanie et la corruption du pouvoir.

Le Sénégal a certes changé. mais les réformes ont été largement incomplètes. La population, oubliée par le régime qui semble n’exister que pour lui-même, fait de plus en plus entendre sa frustration. Désillusionnés, beaucoup attendent le départ de « Gorgui » (le vieux en wolof), qui après douze années au pouvoir, n’incarne plus vraiment le renouveau. Ses alliés politiques se raréfient. D’anciens cadres du parti, comme Aminata Tall, Idrissa Seck ou Macky Tall ont rejoint l’opposition. Ils lui reprochent de ne plus écouter son peuple et de s’être laissé griser par le pouvoir.

 

Tentative de putsch constitutionnel

Abdoulaye Wade compare le mouvement d'opposition suscité par sa candidature à une simple "brise", alors que la France et les États-Unis ont exprimé leur souhait de voir le président faire place à la nouvelle génération. DR

Abdoulaye Wade compare le mouvement d'opposition suscité par sa candidature à une simple "brise", alors que la France et les États-Unis ont exprimé leur souhait de voir le président faire place à la nouvelle génération. DR

Les chiffres annoncés par le régime, pour démontrer la bonne santé économique du pays et l’ampleur des réformes, masquent un quotidien moins rose. Malgré les inaugurations à répétition, les écoles et hôpitaux manquent de personnel et de moyens. La prospérité financière et les projets architecturaux flamboyants n’ont pas réduit la pauvreté et les inégalités se sont creusées. Wade n’a pas répondu aux espoirs de ses électeurs : le chômage a augmenté, tout comme le coût de la vie. Quant aux biens de première nécessité, ils ne sont pas subventionnés.

Le manque de transparence du pouvoir fait de l’ombre aux projets de Wade. Personne n’ignore la corruption du régime. L’affaire Segura, nom du représentant du FMI qui s’est fait remettre une valise de 87 millions de Francs CFA (soit environ 132 700 euros) à son départ, n’en est qu’un exemple.

Le changement proclamé auparavant n’est plus à l’ordre du jour. Le président semble prêt à toutes les manœuvres pour se maintenir au pouvoir, alimentant en même temps l’opposition. Devant l’ampleur des contestations, Wade a dû reculer et abandonner une reforme constitutionnelle le 23 juin 2011. Elle prévoyait l’introduction d’un « ticket présidentiel », comportant deux noms. Défendu par Wade comme un moyen de partager le pouvoir, il s’agissait en fait, pour lui, d’assurer la passation du pouvoir à son fils, aujourd’hui déjà ministre aux multiples fonctions.

De plus, le projet de réforme permettait à un candidat de remporter les élections dès le premier tour avec 25 % des voix.

Le 22 juin, le soulèvement de la population a pu empêcher un véritable coup d’Etat constitutionnel. Mais les 27 et 28 janvier 2012, le Conseil constitutionnel a donné la preuve de sa partialité. La candidature de Youssou N’dour a été rejetée, alors que celui-ci dispose nombre de signatures requis. Celle de Wade a été validée, bien que la Constitution limite le nombre de mandat successifs à 2.

Jusqu’où ira Wade ? Chacune de ses stratégies pour conserver le pouvoir semble le mener un peu plus dans l’impasse. Les contestations de la société civile se font de plus en plus fortes et sont réprimées toujours plus violemment.

Le reste du monde voit son obstination d’un mauvais œil. Les Etats-Unis condamnent fermement la candidature de Wade. La France, jusqu’ici frileuse à prendre position, prend ses distances et le Quai d’Orsay appelle désormais à « un passage de générations ».

 

Carine Dréau

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