Printemps arabe
14H50 - vendredi 3 juin 2011

EXCLUSIF OI : interview de Néjib Chebbi, leader du PDP, le principal parti tunisien

 

OI : Que pensez vous du possible report au 16 octobre des élections prévues initialement le 24 juillet ?

Néjib Chebbi : Au mois de février on était parti pour des élections présidentielles. Bon nombre de personnes pressentaient que j’avais mes chances. Je suis un des seuls qui ait tenu tête en Tunisie à Ben Ali : mes idées de réforme politique, je les ai défendues déjà en mars 2009. Donc certains se sont ligués pour me barrer la route à la présidence et ont proposé que le peuple élise, non plus un président de la République, mais une Constituante. Et voilà maintenant que l’on veut repousser la Constituante. C’est un véritable bras de fer. Nous entrons donc dans une nouvelle  crise politique. J’ai l’impression que ce sont les intérêts personnels qui priment et non l’intérêt général.

OI : Quelles sont votre ligne politique et vos propositions de changements ?

NC : Je me définis comme étant de centre gauche. Pour nous, il y a d’abord un changement de régime politique : il va falloir garantir les libertés, sur la base de la séparation des pouvoirs. Nous sommes pour un président élu au suffrage universel par le peuple. Il doit y avoir en face de lui un parlement aussi élu par le peuple. Le parlement doit avoir la possibilité de contrôler l’exécutif (à l’américaine).

Je suis partisan d’un système à deux chambres (une élue par le peuple, l’autre par les élus locaux) pour réparer notamment les distorsions entre le littoral et l’intérieur du pays.

Tout ne doit pas se jouer qu’à Tunis : aujourd’hui, il est temps que les régions se prennent en charge elles-mêmes, qu’il y ait des conseils élus avec un certain budget pour le développement régional (éducation, culture…). Les régions doivent être représentées au Sénat.

Je suis pour un système politique largement inspiré du modèle américain mais adapté aux réalités tunisiennes. La justice doit être indépendante et doit contrôler aussi bien la décision du pouvoir exécutif que les lois elles-mêmes, elles doivent être conformes à la Constitution.

OI : Comment expliquez-vous que 30% de la population émette le souhait de voter pour les Islamistes ?

NC : L’islamisme est en train de prendre du terrain, le nouveau climat leur permet de reprendre de la force, ils ont d’ailleurs beaucoup d’argent, et on ne sait pas d’ou il provient.

Ils actionnent le sentiment religieux, ce qui est dangereux pour la démocratie. Si votre foi devient un programme de gouvernement cela devient menaçant pour les libertés individuelles.

Ceci dit, je ne pense pas que 30% de la population souhaite voter pour un parti tel que celui d’Ennahda. Aujourd’hui rares sont les sondages et la menace islamiste amène les gens à se poser des questions. La population et les différents partis ont le devoir de contrebalancer ces présumées tendances. Je suis convaincu qu’une majorité se dégager à la Constituante pour faire barrage aux islamistes.

OI : Comment rétablir la légitimité de la police ? Sachant qu’un Etat sans police n’est pas un Etat.

NC : Auparavant, la justice était sur-politisée et la police était usée à force d’être confrontée au peuple. Cependant sans police, il n’y a pas de sécurité, donc il faut à mon avis reconstruire la police, la dépolitiser, la réorganiser et la renforcer. Notamment par la venue de nouvelles recrues. Je pense qu’il faut également une amélioration de leur condition de vie et un contrôle militaire et parlementaire. La réconciliation de la société et de la police se fera sur les bases de la confiance et de la loi. Nous pensons également rattacher en partie la police au ministère de la justice, et du ressort du ministère de l’intérieur et du renseignement. Il faudra également accentuer le contrôle interne.

OI : Comment allez vous relancer l’économie tunisienne et par quel secteur ?

NC : Pour nous, l’emploi durable, c’est l’investissement. Il faut savoir que 2 points de croissance partaient dans la corruption : les récupérer aidera beaucoup l’économie tunisienne. Notre politique fiscale qui stimulera l’investissement, propose de baisser l’impôt sur les sociétés de 10 points et de créer un impôt sur les dividendes de 10 points, qui obligerait les gens a réinvestir.

Les régions de l’intérieur de la Tunisie représentent de très grands chantiers d’investissement public, en terme d’infrastructure par exemple. Je voudrai mettre l’accent sur le développement régional, financer et accompagner des petits projets de PME pour qu’elles s’établissent vers l’intérieur du pays. Il s’agit également de développer dans ces régions l’école, la santé, la culture et le tourisme.

L’orientation de l’investissement vers des secteurs de pointe, pourra donner des emplois à des personnes diplômées et qualifiées. D’autre part, Il faut encourager l’innovation qui sera exemptée d’impôt. La recherche scientifique est également une priorité.

Je pense qu’il faut passer au textile technique, il faut intégrer la technologie dans l’industrie tunisienne, pour éliminer la main d’œuvre dite de basse qualité. Il faut mettre l’accent sur un travail de qualité capable de soutenir la concurrence internationale.

Il faut encourager l’Etat à externaliser beaucoup de ses services et susciter la création de beaucoup de sociétés.

En ce qui concerne le domaine de la santé, nous proposons une TVA solidaire, ajouter un point et la faire passer de 18 à 19% : cela permettra une prise en charge sanitaire et sociale du quart le plus pauvre de la population dans une perspective d’assurer une couverture universelle en trouvant un moyen financier.

Enfin, il faut attirer les investisseurs étrangers en maintenant l’exonération de tout impôt pendant 10 ans pour celles qui s’installeront à l’intérieur du pays et un taux de 10% d’imposition pour les sociétés off-shore qui s’installent sur le littoral.

OI : Le taux de chômage des jeunes diplômés équivaut à peu près à 25%. Quel est le remède ?

NC : Il faut selon moi organiser des séjours pour les diplômés dans différents pays, mais avant cela et surtout créer des emplois chez nous en Tunisie. L’économie doit s’occuper des jeunes en priorité.

OI : 400.000 emplois directs dépendent du tourisme. Que préconisez-vous pour son développement ?

NC : Le tourisme en Tunisie est à 95% balnéaire, donc saisonnier, alors que l’on peut tout à fait développer un tourisme individuel, culturel et écologique. L’essentiel du patrimoine archéologique se trouve dans l’intérieur des terres. Ce qui est une chance pour réorienter le développement de la Tunisie vers les régions de l’intérieur.

On a également besoin de l’open sky qui ouvrira l’espace aérien de la Tunisie et développera développera un tourisme individuel et de court séjour. Pour l’heure, le tourisme tunisien est dépendant des tours opérateurs. On peut aussi penser à la  diversification des modes d’hébergement, comme chez l’habitant.

OI : Le climat social vous inquiète-t-il ?

NC : ‘’Quand j’étais au gouvernement, nous n’avions pas de problèmes de liquidités. Le Ministre actuel du budget M. Ayed ne semble d’ailleurs pas plus inquiet. Personnellement, je n’ai pas d’inquiétude en ce qui concerne les salaires des fonctionnaires ou tout autre question liée aux salaires ou aux liquidités. Je pense qu’il faut soutenir les syndicats et les encourager à manifester et à exprimer leurs revendications.

OI : Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

NC : Le sommet du G8 à Deauville a permis à la Tunisie de se faire entendre et de recevoir les premières promesses de soutien. Obama a déjà proposé de garantir les emprunts tunisiens ce qui est donc une bonne nouvelle. Ce dont la Tunisie a besoin, c’est d’une aide de la communauté internationale substantielle, de 5 et 10 Milliards de dollars par an. Nous ne sommes pas la Grèce ou l’Irlande, on n‘a pas besoin de grand chose. Je  souhaite voir un plan Marshall, défini avec nos pays amis et partenaires de la Tunisie, un emprunt qu’on remboursera sur la longue durée.

OI : Quelle est votre analyse de la société Tunisienne et de son avenir ?

NC : ‘’Il y a, à mon avis, un modèle de société tunisien, qui se fonde sur un médian, une économie libérale et ouverte sur l’extérieure. Maintenant, il s’agit de concilier la société qui est en constante évolution comme partout et la part, depuis toujours présente, de l’islam. On peut voir une synthèse entre l’histoire de notre pays et notre environnement,  notre personnalité. Le peuple Tunisien est courageux, il ne manque pas de s’affirmer. Il faut qu’on sache conserver nos atouts et les concilier avec un modernisme certain de notre Tunisie actuelle.

Propos recueillis par Sophie Alexandra Aïachi

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