Printemps arabe
07H48 - mardi 26 avril 2011

« L’Egypte doit régler ses comptes avec son histoire récente pour jeter les bases d’une démocratie transparente et vertueuse », selon Me William Bourdon, avocat anti-corruption et président de Sherpa, à son retour d’Egypte.

 

Me William Bourdon préside l’association Sherpa et son cabinet est spécialisé dans la lutte contre la corruption internationale. Entretien à son retour du Caire où il a  participé à une conférence de presse de Transparency International et des acteurs égyptiens engagés contre la corruption du régime déchu de Moubarak.

Pourquoi la lutte contre la corruption du précédent régime est-elle au coeur des enjeux de la transition démocratique ?

Elle est décisive pour l’avenir de l’Egypte et fonctionne comme une question test pour le gouvernement. Agira-t-il avec transparence ? Garantira-t-il l’indépendance des enquêteurs et des juges ? Engagera-t-il une coopération étroite avec la société civile et la communauté internationale ? Telles sont les trois conditions d’une politique de vérité face à la corruption du précédent régime.

Faisons crédit pour le moment au gouvernement de sa volonté affichée d’aller dans ce sens. C’est ce que nous ont dit les représentants des ministères des affaires étrangères et de la justice rencontrés ces jours-ci.

A quels problèmes sont confrontés la justice et la société civile dans leur souhait d’obtenir la restitution des biens volés au peuple par Moubarak ?

Le décalage est immense entre cette volonté de récupérer les 70 milliards de dollars que l’on estime volés par le clan Moubarak et, d’autre part, le manque flagrant d’instruments techniques et légaux pour agir. Comment par exemple contraindre les banques égyptiennes, puis celles des pays du Golfe (Dubaï et Arabie saoudite surtout) et de Turquie où s’amassent la plus grande part de ces milliards, de divulguer les mouvements de fonds effectués ces derniers mois par le clan Moubarak ?

En matière immobilière, il faut du temps, beaucoup de temps pour dévoiler qui est vraiment derrière les nombreux prête-noms qui se multiplient dans les sociétés détentrices de biens acquis avec cet argent détourné.

Quand on sait les années qu’il a fallu à l’Union européenne pour mettre en place Tracfin, on imagine les difficultés auxquelles sera confrontée la justice égyptienne.

Ceci dit, l’Egypte compte, depuis plus d’un siècle, d’éminents juristes, professeurs de droit et économistes. Des ONG anti-corrpution se sont créées et je salue leur courage et leur détermination. Le peuple égyptien récupérera ses biens si tous les acteurs de la communauté internationale se coordonnent pour appuyer les autorités et la société civile égyptiennes.

Les révolutionnaires de la place Tahrir comptent-ils encore dans le jeu égyptien ?

Une ébullition démocratique règne en Egypte.

Ce qui m’a le plus impressionné, c’est de voir qu’après la chute de Moubarak, l’esprit de la place Tahrir est toujours présent. Les acteurs de la société civile égyptienne reste vigilants et mobilisés comme aux premiers jours de la révolution et ce sont eux qui mènent largement la « danse » de la transition. Ce sont les manifestants de la place Tahrir qui sont les premiers à demander la transparence sur les fonds volés par Moubarak et les piliers de l’ancien régime.

N’est-ce pas plutôt l’armée qui détient les cartes ?

C’est plus compliqué. Plusieurs de mes interlocuteurs ont reconnu qu’il n’y avait pas d’alternative au pouvoir de l’armée dans cette phase de transition. La rue s’accommode de l’armée qui n’a pas tiré sur la foule et a manifestement lâché Moubarak au moment opportun.

Mais c’est la rue et les champions de la place Tahrir qui donnent le LA à l’armée des avancées à engager. Et à chaque fois, pour le moment, l’armée a reculé. Exemple : l’armée a fait publier il y a un mois une première liste de personnes qui seraient poursuivies pour corruption sous l’ancien régime. La famille Moubarak n’était pas présente. Les protestations publiques furent telles que la famille a été ajoutée à la liste.

Après des atermoiements, et grâce à cette pression populaire qui ne faiblit pas, on sent les autorités décidées à engager ce processus de transparence.

Alors évidemment, les choses sont compliquées lorsqu’on sait par exemple que c’est au sein de l’état-major de l’armée que les enrichissements les plus honteux sont intervenus depuis 30 ans.

Et sur le plan politique ?

Un référendum a été largement approuvé par le peuple qui ouvre le chemin de la transition. Mais la question cruciale du calendrier des prochaines élections d’où devra sortir une Assemblée constituante n’est pas encore tranchée. Quel jeu jouent les Frères musulmans ? On assiste à une floraison de partis politiques. Tous les démocrates espèrent que deux ou trois jeunes leaders émergeront. Le jeu politique reste donc incertain.

Moubarak a été arrêté et serait sur le point d’être transféré dans un hôpital militaire. S’il est jugé, risque-t-il la peine de mort ?

Je ne crois pas une minute que la démocratie naissante égyptienne commencera avec du sang sur les mains. L’Egypte n’a pas procédé à des exécutions depuis longtemps. Et le monde arabe conserve le souvenir de l’exécution de Saddam Hussein en Irak qui n’augura point d’un avenir pacifique pour ce pays.

Pensez-vous que la corruption s’est achevée avec la chute de Moubarak ?

Evidemment non. L’éradication de pratiques et d’une culture de la corruption prendra du temps. Le changement des mentalités se fera sur une longue durée. Il y faudra un retour d’expériences d’autres pays, mais surtout une articulation entre la mise en place d’instruments punitifs à vocation dissuasive et le développement d’un contrôle démocratique effectif, seuls à même d’éradiquer durablement la mainmise par des clans sur les richesses du pays ainsi que la « patrimonialisation » privée de l’Etat par les dictateurs.

Quel souvenir ramenez-vous de ce voyage en Egypte ?

Sur la place Tahrir, on propose aujourd’hui aux touristes d’acheter les photos des membres du « clan des copains et des coquins » qui vivaient grassement sur le dos des Egyptiens. Signe de la centralité de cette question pour les révolutionnaires égyptiens.

Propos recueillis par Michel Taube

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