Opinion Outre-Mer
12H30 - mardi 23 septembre 2025

Grand entretien avec Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair et président de la FNAM

 

Grand entretien avec Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair et président de la FNAM

Pascal de Izaguirre, bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à Opinion Internationale et Info Outre-mer. Vous êtes un homme de l’aviation. Vous dirigez Corsair, vous avez été un des dirigeants d’Air France puis du groupe TUI. Corsair, ce n’est pas une simple ligne de plus sur un CV déjà respectable, j’imagine ?

Pascal de Izaguirre : Non, ce n’est pas une ligne de plus, et je vais vous dire pourquoi. D’abord, cela commence à faire un certain nombre d’années et d’ici quelque temps je vais peut-être égaler le temps que j’avais passé au sein du groupe Air France-KLM. Ensuite, il est beaucoup plus difficile de gérer une petite compagnie qui lutte pour sa survie, qui doit faire preuve d’agilité, de résilience et de résistance, qu’une grande compagnie qui a bien sûr des moyens beaucoup plus considérables.

Il a fallu traverser des périodes extrêmement troublées comme le Covid, mais aussi s’accommoder des évolutions de l’actionnariat, qui a beaucoup changé. Chaque fois, il y a eu de nouvelles orientations stratégiques. Nous avons dû transformer complètement la compagnie : à l’origine, elle avait un statut un peu hybride – low-cost, charter – avec une flotte obsolète. Nous l’avons modernisée de fond en comble pour devenir une compagnie régulière. Aujourd’hui, Corsair dispose d’une des flottes les plus jeunes du monde, composée exclusivement d’Airbus A330Neo, aux meilleures performances environnementales. La récompense est là : après un retour positif l’an dernier, nous aurons cette année un résultat significativement bénéficiaire.

 

C’est donc une véritable aventure entrepreneuriale pour vous ?

Absolument. Et je crois qu’il est important de se battre pour son pays et pour les entreprises françaises. Je suis également président de la Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM), membre du Medef, et donc un acteur engagé au niveau national.

 

Fin août, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a fait une visite remarquée sur les enjeux de sécurité et de lutte contre le narcotrafic en Martinique et Guadeloupe. Les compagnies aériennes comme Corsair ont-elles été associées à la stratégie mise en place ?

Nous n’avons pas été directement associés, mais nous travaillons en étroite coopération avec les services du ministère et nous nous considérons comme un acteur engagé. La lutte contre la drogue est un combat que nous partageons.

 

 

Quand on observe le marché du tourisme ultramarin, on est frappé par sa saisonnalité. Aux Antilles, la haute saison se concentre d’octobre à avril. Pourquoi le tourisme n’y est-il pas développé toute l’année ?

C’est un phénomène global, pas seulement ultramarin. Quand la météo s’améliore en Europe, les voyageurs préfèrent rester en France ou aller en Méditerranée. Mais vous avez raison, le vrai sujet est d’étendre la saisonnalité, en diversifiant l’offre. On ne peut pas se contenter du tourisme balnéaire. Il faut développer un tourisme mémoriel, culturel, spirituel, qualitatif. Nos îles ultramarines ont un patrimoine naturel et culturel extraordinaire à valoriser.

 

Un jeune ultramarin de métropole qui veut rentrer plus souvent se plaint du prix des billets. Que lui répondez-vous ?

Les billets paraissent toujours trop chers. La saisonnalité explique une partie du phénomène : quand la demande est forte, les prix montent. Mais il existe des dispositifs de continuité territoriale, notamment pour les étudiants ou les situations médicales. Chez Corsair, nous proposons une typologie de tarifs adaptés. Mais il faut rappeler que l’entretien d’une flotte moderne est extrêmement coûteux. Et selon les études de la DGAC, les tarifs vers l’Outre-mer restent inférieurs à ceux de destinations internationales équivalentes.

 

Combien de compagnies faudrait-il pour desservir les Antilles pour garantir des prix justes et une concurrence loyale ?

Aujourd’hui, trois transporteurs assurent cet équilibre. Deux, ce serait insuffisant ; quatre, excessif. La concurrence est déjà acharnée et elle profite au consommateur, tout en permettant la viabilité économique des compagnies.

 

L’avenir des Outre-mer passe-t-il par le tourisme ?

Le tourisme est un pilier, mais il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. Sinon, on risque le « Disneyland ». Je crois beaucoup, par exemple, à la création d’une filière locale de carburants durables dans les Antilles, qui serait un levier de souveraineté énergétique et de rayonnement régional.

 

Vous desservez aussi le Mali, dans un contexte géopolitique tendu. Est-ce un risque supplémentaire pour vous ?

Oui, nous sommes tributaires des crises géopolitiques. Par exemple, nous ne pouvons pas survoler l’Algérie pour rejoindre le Mali : nous devons passer par le Maroc et la Mauritanie, ce qui rallonge les temps de vol et accroît les coûts. Mais dans l’aérien, nous sommes habitués à nous adapter.

 

En tant que président de la FNAM, vous devez aussi gérer la question des grèves récurrentes des contrôleurs aériens.

C’est un problème structurel, qui nécessite une vision de long terme et un pouvoir politique stable pour être résolu.

 

Une dernière question, rituélique à Opinion Internationale : si vous vouliez attacher votre nom à une grande loi, laquelle serait-ce ?

Sans hésiter la création d’une filière française de carburants durables. C’est vital pour la décarbonation de l’aviation, qui représente le défi majeur de notre secteur. Si nous échouons, nous risquons un rejet social et des mesures malthusiennes qui limiteront le nombre de vols.

Or, la première solution concrète et immédiate, ce sont les carburants durables, qui représentent les deux tiers de l’effort global de décarbonation. Aujourd’hui, ils coûtent 4 à 5 fois plus cher que le kérosène classique. Développer une filière française, notamment dans les Outre-mer, c’est assurer notre indépendance énergétique, créer des emplois et préserver la compétitivité du transport aérien.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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