
Source : https://www.interentreprises.com/
Le Bâtiment et les Travaux Publics sont la colonne vertébrale de l’économie martiniquaise. Logements, routes, écoles, hôpitaux, infrastructures vitales : tout dépend de lui. Et pourtant, la filière traverse depuis 2008 la plus grave crise de son histoire récente. L’activité a chuté de 60 % en quinze ans, et encore de 25 % l’an dernier. Chaque mois, des entreprises ferment, des centaines d’emplois disparaissent, et avec eux des savoir-faire irremplaçables. Derrière les chiffres, ce sont des familles entières, des artisans, des transporteurs, des fournisseurs qui voient s’effondrer la base de leur survie économique.
Les acteurs du secteur tirent la sonnette d’alarme. Stéphane Abramovici, vice-président de l’AMPI, parle d’« une catastrophe annoncée » si rien n’est fait. Le diagnostic est partagé : chute de la commande publique, investissements privés trop faibles, délais de paiement qui dépassent parfois 190 jours, coûts de production aggravés par l’insularité, réglementations toujours plus lourdes. Résultat : 24 entreprises liquidées ce mois-ci seulement.
Un secteur sacrifié par l’État
Le BTP ne souffre pas seulement d’un contexte défavorable, il est aussi victime des choix politiques. Sur les 1,7 milliard d’euros annoncés pour le développement territorial entre 2024 et 2027, à peine 385 millions seront fléchés vers le BTP. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement prépare pour le projet de loi de finances 2026 un rabot massif de la LODEOM sociale, principal dispositif de soutien à l’emploi outre-mer : 350 millions d’euros amputés, ce qui équivaut à une hausse brutale et insoutenable du coût du travail.
Patrick Lanes, président du Groupe Caïali, rappelle pourtant qu’« avec moins de moyens, hier encore, de grands chantiers étaient menés, comme l’approvisionnement en eau du Sud de la Martinique ». Son fils Serge avait structuré la filière en imposant la première convention collective et en remportant le projet du barrage de La Manzo. Aujourd’hui, les ateliers qui tournaient H24 ferment à 14h.
La crise Covid et la guerre en Ukraine ont mis en lumière une autre faiblesse : la dépendance totale aux importations. « On a complètement perdu pied », reconnaît Jean-Yves Bonnaire, secrétaire général de la FRBTP. Faible marché local, normes européennes inadaptées, impossibilité d’exporter : la Martinique est piégée dans une vulnérabilité structurelle. Yann Honoré, directeur de Caraïb Moter, dénonce l’absence de cap clair et des lourdeurs administratives qui étranglent la trésorerie. Même les intérêts moratoires, pourtant obligatoires en cas de retard de paiement, ne sont pas versés.
Un choix politique à assumer
Le BTP martiniquais a pourtant des atouts : innovation dans les matériaux, recours à la préfabrication, filières de recyclage en développement. Mais sans commande publique forte et cohérente, sans financements rapides et sans stratégie industrielle, ces initiatives resteront des vœux pieux. Les professionnels réclament une mobilisation immédiate : sortir les projets financés des tiroirs, raccourcir les délais de paiement, relancer les grands chantiers annoncés depuis des décennies.
Car la vérité est simple : sans BTP, il n’y a pas d’avenir économique pour la Martinique. Raboter la LODEOM ou laisser s’éteindre la commande publique, c’est non seulement sacrifier un secteur, mais condamner une génération de travailleurs. Dans cette bataille, ce sont les maçons, les charpentiers, les ingénieurs, les apprentis, les bâtisseurs de demain qui sont les premières victimes.
La Martinique, – les élus locaux et un Etat stratège -, doit choisir : investir dans ses infrastructures et sauver son BTP, ou accepter une lente et irrémédiable régression économique.
Michel Taube




















