
Suicide en Polynésie – un mal qui grandit
Le hall de l’assemblée de la Polynésie française s’est mué ce 10 septembre en lieu de recueillement et d’alerte, à l’occasion de la Journée mondiale de prévention du suicide. Associations, soignants, élus et citoyens y ont rappelé que derrière chaque chiffre se cachent des vies brisées. Le constat est implacable : si le nombre de décès reste stable (une trentaine par an), les tentatives de suicide, elles, explosent, passant de 300 à près de 700 chaque année.
L’association SOS Suicide, en première ligne depuis des années, sonne l’alarme. Sa trésorière, Germaine Vanquin, évoque une « détresse qui ne cesse de croître », alors que les moyens d’accompagnement demeurent insuffisants. La présidente de la commission Santé et Solidarités, Patricia Pagliucci, a salué un travail « qui brise les silences et ouvre des espaces de parole », tandis que le psychiatre Julien Testart rappelait que la prévention doit se traduire dans les codes culturels locaux. La honte sociale et l’endurance imposée, le hama et le fa’a’oroma’i, pèsent lourd dans les parcours de souffrance, empêchant souvent de demander de l’aide.
La mobilisation prend aussi des visages symboliques. Miss Tahiti, Hinaupoko Devèze, qui a choisi la santé mentale comme cause, veut utiliser sa visibilité pour valoriser le travail associatif et sensibiliser la population. Mais au-delà des discours, la rencontre a mis en lumière une réalité encore plus alarmante : le mal-être touche particulièrement les jeunes, et frappe de plein fouet la communauté LGBT+.
Selon Karel Luciani, président de l’association Cousins-Cousines, un appel sur cinq reçu par SOS Suicide vient de cette communauté. Il estime que les jeunes non-hétérosexuels ont entre trois et sept fois plus d’idées suicidaires que les autres. Le rejet, qu’il soit religieux, social ou institutionnel, alimente directement cette souffrance, insiste-t-il : « On dit que tout le monde a sa place, mais ce n’est pas vrai. Aux jeunes LGBT, on ne la donne pas. Après, ils sombrent. » Il plaide pour une véritable éducation à la vie affective et sexuelle dès l’école et pour une acceptation inconditionnelle des diversités.
Derrière les chiffres, c’est un tissu social en tension qui se révèle. La Polynésie, confrontée à une jeunesse en proie à l’isolement et aux tabous, ne peut plus se contenter de campagnes ponctuelles. La prévention doit passer par un changement profond des mentalités, par l’écoute active et par la reconnaissance de toutes les identités. Car chaque silence prolongé devient une menace, et chaque absence de réponse une fracture supplémentaire.
Patrice Clech

















