
Sur le papier, le plan semblait taillé pour sauver les finances de la Nouvelle-Calédonie. En réalité, il s’enlise déjà dans un climat social électrique. Le gouvernement local veut frapper fort : 27 millions d’euros économisés sur les allocations familiales, trois années d’exonération d’impôt pour les nouvelles entreprises et dix points de moins sur l’impôt sur les sociétés. Une triple mesure censée séduire Paris et débloquer le milliard d’euros promis sous forme de prêt, conditionné à une refonte fiscale. Mais à Nouméa, la réforme ressemble à une grenade dégoupillée.
Le décor est planté depuis longtemps : l’archipel, autonome fiscalement, vit au-dessus de ses moyens. Après les émeutes de 2024, la chute du PIB (jusqu’à 15 %) et la destruction de 10 000 emplois, la trésorerie est exsangue. L’aide de l’État, qui pourrait en partie se transformer en subventions, est l’unique bouée de sauvetage. Pourtant, au Congrès, impossible de trouver une majorité pour adopter le texte. Le sujet traîne comme une ombre depuis trente ans, et chaque gouvernement, qu’il soit indépendantiste ou non, s’y est brisé les dents.
Le camp d’Alcide Ponga (Le Rassemblement–Les Républicains) espère être celui qui fera plier l’histoire. Mais l’opposition est déterminée. Les syndicats en tête, avec la Fédération des fonctionnaires qui a appelé à une grève générale. Une centaine de manifestants se sont rassemblés devant le Congrès ce 14 août, criant à l’injustice sociale. Les calculs syndicaux sont simples : enlever 27 millions aux familles pour en mettre 50 dans les poches des entreprises ne relève pas de l’économie, mais du transfert au profit du patronat.
Sur le terrain politique, le front est tout aussi hostile. Calédonie ensemble dénonce une réforme qui rognerait sur les aides aux classes moyennes et aux plus démunis, alors même que le territoire ne dispose pas du RSA, contrairement à la métropole ou aux autres collectivités ultramarines. Dans un archipel où le SMIC plafonne à 1 200 euros nets, pour un coût de la vie 30 % plus cher qu’en métropole, la baisse des allocations apparaît comme une coupe sèche. Milakulo Tukumuli, de l’Éveil océanien, redoute « une Cocotte-Minute sociale » prête à exploser.
Dans les rues, la colère prend un visage concret. Des habitants calculent que la réduction par enfant – 25 euros – représente quinze paquets de riz. Pour beaucoup, c’est tout simplement ce qui permet de manger. Les travailleurs sociaux observent, eux, un autre signe inquiétant : la pauvreté se banalise. À Nouméa, de plus en plus de femmes et de quinquagénaires privés d’emploi dorment dehors. Un décor qui tranche avec les promesses de relance économique.
Derrière les chiffres et les discours, l’urgence est double : rassurer Paris pour obtenir les fonds, tout en évitant de rallumer la mèche d’une contestation sociale qui, en Nouvelle-Calédonie, peut s’enflammer plus vite qu’un champ de niaoulis en saison sèche. Pour l’heure, la réforme fiscale reste bloquée, prise en étau entre la nécessité financière et la crainte d’un nouvel embrasement.
Patrice Clech

















