
Un aller-retour en classe affaires, quelques nuits d’hôtel, repas, missions plus ou moins urgentes… et au final, plus d’un demi-milliard de francs CFP par an qui s’envolent en billets d’avion et frais de séjour pour les élus et cadres institutionnels calédoniens. C’est le constat sans fard de la CTC (Chambre Territoriale des Comptes), qui a passé au peigne fin les déplacements entre 2020 et 2024. Le rapport, rendu public début août, pique là où ça fait mal : dépenses « mal maîtrisées », contrôle insuffisant, et un manque criant de transparence.
Tout a commencé par une contribution citoyenne, déposée en 2023 sur la plateforme des juridictions financières. La CTC s’est alors penchée sur les frais engagés par le Congrès, le gouvernement, les trois provinces, le Sénat coutumier, le Conseil économique, social et environnemental, ainsi que l’Autorité de la concurrence. Le verdict est rude : ces déplacements coûtent en moyenne 534 millions de francs par an, dont 120 millions rien que pour les élus, chefs coutumiers et membres d’institutions. Et depuis 2019, la facture grimpe : +16 % en 2022 et 2023 par rapport à l’avant-crise sanitaire.
La comparaison avec la Polynésie française est humiliante : c’est cinq fois plus élevé au Caillou. Sur certaines années, le Congrès dépense 62 millions, le gouvernement 56 millions. Dans la province Sud, 96 % des déplacements des élus se font hors territoire. Au Congrès, c’est 60 %. Pour la CTC, ces chiffres imposent de limiter les voyages aux seuls besoins réels et de privilégier la visioconférence, au moins pour les réunions préparatoires ou techniques.
Le rapport ne se contente pas de chiffres globaux : il dresse un inventaire qui sent le petit cercle privilégié. Au Congrès, 38 personnes totalisent 117 voyages hors territoire (117,7 millions de francs). Le gouvernement ? 58 personnes pour 162 déplacements (74 millions). Même le Sénat coutumier, avec ses 11 voyageurs réguliers, aligne 16 missions (7,8 millions). En moyenne, chaque participant au club des valises officielles s’offre 2,8 voyages pour environ 800 000 francs pièce.
La CTC rappelle que les élus ont un devoir d’exemplarité, surtout en temps de crise, et que l’argent public exige des justificatifs solides. Elle veut mettre fin aux remboursements qui n’ont pas de lien avec un objectif d’intérêt général et plaide pour des règles strictes : encadrer l’usage de la classe affaires, plafonner les nuitées et repas, exiger des justificatifs, et imposer un compte rendu public des objectifs, du déroulé et des résultats de chaque mission.
Le rapport cible aussi certaines destinations. Paris reste incontournable dans le cadre des discussions institutionnelles, et les Nations unies ont leur utilité diplomatique. Mais ensemble, ces voyages représentent tout de même 25 % des frais entre 2021 et 2023. Pour la CTC, il faut arrêter de financer ce qui relève plus du confort ou du protocole que de l’efficacité politique. Six recommandations sont posées sur la table, à appliquer d’ici 2026 : plus de visioconférences, révision des règles de remboursement, publication systématique des bilans de mission, arrêt des frais injustifiés, adoption d’une charte de déontologie et désignation d’un référent pour veiller au grain. De quoi, espère-t-elle, éviter que les billets d’avion payés par la collectivité ne ressemblent à des cartes de fidélité personnelles.
Patrice Clech

















