
Mayotte : à Koungou, c’est l’armée qui distribue l’eau
Des militaires en treillis pour livrer des bouteilles d’eau : à Koungou, la scène a tout du paradoxe. Et pourtant, ce n’est ni un exercice ni un film de crise. Ce jeudi matin, un conteneur d’eau potable a été déchargé en grande pompe, sous les regards émus des agents municipaux, des enseignants, et surtout des enfants. L’opération, inédite en France, est le fruit d’un partenariat entre la commune et l’Économat des armées, entériné début mai. À Mayotte, c’est désormais l’armée qui vole au secours des plus fragiles, là où la logistique civile peine à suivre.
Le convoi vise d’abord les plus vulnérables : les 5 600 élèves des écoles de Koungou, les 9 800 enfants soutenus par la Caisse des écoles, les familles en grande précarité suivies par le CCAS, les personnes âgées ou handicapées, ainsi que les 500 agents municipaux. Le tout orchestré avec l’aide du RSMA, ces jeunes volontaires du Service Militaire Adapté qui, bouteilles à la main, incarnent une jeunesse mobilisée et solidaire. Une opération qui a de quoi marquer les esprits, dans une île où l’eau potable reste un bien aussi précieux que rare.
Derrière cette livraison humanitaire, il y a l’aveu silencieux d’un système à bout de souffle. Dans un territoire français, on en est à faire appel aux militaires pour garantir l’accès à l’eau. Pas pour pallier un cyclone, pas pour gérer une catastrophe naturelle, mais pour répondre à une crise permanente et banalisée. La pénurie est telle que les infrastructures classiques ne suffisent plus. Il faut des camions de l’armée pour combler les vides, rétablir un minimum vital.
Pour le maire Assani Saïndou Bamcolo, cette intervention n’est pas seulement une réponse d’urgence. C’est le symbole d’une solidarité institutionnelle rare, où l’État, les armées et les collectivités locales œuvrent enfin dans le même sens. Il y voit la preuve que l’interministérialité fonctionne quand la survie est en jeu. Mais en creux, le message est plus brutal : il faut désormais des uniformes pour faire couler l’eau à Koungou.
Dans un territoire où les mots « République » et « égalité » peinent à garder leur sens, cette opération résonne comme un coup de clairon. Oui, l’armée distribue de l’eau aux enfants de Mayotte. Et oui, tout le monde applaudit. Mais la question demeure : combien de temps faudra-t-il encore compter sur des militaires pour garantir l’essentiel ? Car à Koungou, ce n’est pas une guerre qu’on mène. C’est une pénurie ordinaire. Et c’est bien cela qui devrait alarmer.
Patrice Clech

















