
En vue de l’adoption le 30 juillet prochain en Conseil des ministres du projet de loi de Manuel Valls sur la vie chère dans les Outre-mer, Opinion internationale publie des tribunes de propositions, d’analyse de cet enjeu majeur pour nos territoires ultramarins, enjeu semé de préjugés, de contre-vérités et de beaucoup de démagogie pour un vrai problème structurel et endémique.
Un mensonge répété cent fois finit par devenir une “vérité”. Ainsi en est-il d’un boniment bien rodé qui alimente le populisme local et intoxique jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat: les entreprises de Martinique gonfleraient leurs marges au point “d’étouffer” le pouvoir d’achat des ménages. Cette idée, répétée à l’encan, trouve aujourd’hui un sérieux contrepoint dans les chiffres de l’INSEE.
Dans une étude approfondie publiée en juillet 2025 (voir ici), l’institut statistique compare la rentabilité financière des PME (de 1 à 250 salariés) dans les départements d’Outre-mer (DOM) à leurs homologues de France hexagonale. Résultat : les PME martiniquaises ont, en moyenne, des marges plus faibles, et non plus élevées.
Le fameux taux de marge – c’est-à-dire l’excédent brut d’exploitation rapporté au chiffre d’affaires – s’élève en Martinique à 6,1 %, contre 6,6 % en moyenne en France hexagonale. Difficile dans ces conditions d’accuser les entreprises locales d’abuser de leurs clients.
Pourquoi ce différentiel ? L’INSEE identifie des contraintes structurelles fortes dans les DOM :
- Des PME plus petites en chiffre d’affaires (1,38 M€ en Martinique contre 1,53 M€ en Hexagone).
- Une dépendance élevée aux importations, due à l’insularité, qui fait grimper les consommations intermédiaires à 71,9 % du CA en Martinique (contre 69,1 % dans l’Hexagone).
- Une productivité plus faible (54,2 k€ de valeur ajoutée par salarié contre 64,9 k€ en France hexagonale).
- Des taux d’intérêt plus élevés et un accès au crédit plus onéreux, traduisant un surcoût du financement.
- Ajoutons à cela une diversité sectorielle plus faible, et une prédominance des activités de proximité (commerce, services), moins génératrices de haute valeur ajoutée. Le tout dessine une économie locale structurellement désavantagée.
L’INSEE va plus loin. En neutralisant toutes les différences structurelles (taille, secteur, âge, statut juridique, charges), grâce à des techniques statistiques avancées, les chercheurs montrent que les PME martiniquaises ne sont ni plus ni moins rentables que leurs “jumelles” hexagonales, notamment au centre et à la base de la distribution. Autrement dit, aucun excès, aucune anomalie. Même en haut de la distribution (les 10 % les plus rentables), aucune sur-rentabilité n’est constatée en Martinique.
À l’heure où les critiques pleuvent sur les prix dans les DOM (critiques fondées, car les prix sont objectivement beaucoup plus élevés dans nos territoires), il est temps de réorienter le débat. La vraie question n’est pas celle de marges excessives, mais celle de conditions d’exploitation inéquitables pour les entreprises d’Outre-mer.
Et c’est là, au risque de nous répéter, qu’une zone franche sociale s’impose dans les Antilles françaises. En exonérant les salaires de charges sociales et patronales, l’État permettrait aux entreprises du secteur privé de regagner en compétitivité sans avoir à compresser l’emploi. Ce n’est pas un cadeau : c’est un rééquilibrage économique indispensable dans des territoires structurellement désavantagés.
Oui, la dernière livraison de l’INSEE est sans appel :
- Les PME de Martinique ne pratiquent pas de marges abusives.
- Elles souffrent d’un environnement structurel pénalisant.
- Une zone franche sociale ciblée serait un levier efficace pour soutenir à la fois les entreprises et les ménages.
Il est temps de passer d’un débat accusateur à un débat structurant. Pour restaurer le pouvoir d’achat ici, il faut d’abord restaurer les conditions de production. Cela passe par une politique économique pensée pour les réalités ultramarines. Manuel Valls, dont le projet de loi contre la vie chère est fondé sur “un mensonge répété mille fois”, prendra-t-il enfin le temps d’examiner cette dernière publication de l’INSEE et d’admettre honnêtement que l’étouffement de l’économie martiniquaise ne vient pas d’où il pense ?
Emmanuel de Reynal
Chef d’entreprise, écrivain, auteur du site https://www.laissemoitedire.com/


















