
Polynésie française : l’hôpital malade de son statut
C’est une anomalie qui dure depuis trop longtemps. Le Centre hospitalier de la Polynésie française continue de fonctionner comme une administration classique alors qu’il concentre 80 % de l’activité hospitalière du territoire. Et la Chambre territoriale des comptes, dans son rapport provisoire que Tahiti Infos s’est procuré, ne tourne pas autour du scalpel : ce statut est obsolète. Pire, il freine tout ce qui pourrait améliorer la qualité des soins.
Les magistrats financiers l’avaient déjà signalé en 2018, ils le répètent aujourd’hui : la gestion comptable du CHPF repose sur des règles dépassées, incomplètes, et à la traçabilité douteuse. Malgré quelques progrès opérés depuis la crise du Covid, la modernisation des finances reste trop lente, faute de ressources internes qualifiées. La facturation manuelle est encore monnaie courante, alors que les urgences débordent et que les comptes, eux, tiennent à coup de subventions publiques.
Le diagnostic est clair : sans un changement de statut, l’hôpital public de la Polynésie continuera à fonctionner à contre-courant de ses besoins. Le ministre de la Santé, Cédric Mercadal, en a fait une priorité depuis un an. Il pousse pour une transformation en Établissement public de santé (EPS), seule option, selon la CTC, pour sortir l’hôpital de son carcan administratif. La juridiction invite même à finaliser cette mutation d’ici fin 2026, en soulignant qu’il s’agit non d’un luxe, mais d’une urgence.
Mais la structure, déjà surchargée, affronte un autre mal chronique : une hémorragie de spécialistes. La pénurie est telle qu’elle menace la continuité des soins. Faute de statut attractif, les professionnels fuient vers le privé ou vers d’autres territoires. Les jeunes médecins ne restent pas. Les anciens partent. Et les services, eux, tournent à flux tendu. Le centre hospitalier a bien tenté quelques rustines, mais la CTC l’assène noir sur blanc : sans réforme profonde des statuts des personnels hospitaliers, rien ne changera durablement.
Le constat s’applique à l’ensemble des fonctions : administratifs, techniques, soignants, médicaux. Tous réclament un cadre adapté, et les tentatives du CHPF pour convaincre le Pays sont restées lettre morte. La Chambre recommande d’intensifier la pression politique, faute de quoi l’hôpital continuera à perdre ses forces vives.
Dans ce tableau aux couleurs sombres, un léger mieux apparaît. La gestion financière, justement, a montré quelques signes de réveil pendant la pandémie. Des efforts ont été faits pour sécuriser les dépenses, mieux suivre les engagements, améliorer la qualité comptable. Mais les magistrats restent prudents : sans automatisation de la facturation, sans fiabilisation du cycle des recettes, les résultats resteront fragiles.
Sur le terrain, la pression démographique complique encore la donne. Le vieillissement de la population appelle à des réponses spécifiques, que le CHPF peine à mettre en œuvre. La Chambre recommande d’ouvrir une unité de court séjour gériatrique et une zone post-urgence médicalisée, pour désengorger les services classiques et raccourcir les temps d’attente. Le CHPF a prévu de se soumettre à une certification qualité d’ici 2030, sans y être obligé. Une preuve d’engagement, mais qui reste suspendue à la réussite des réformes.
En attendant la version définitive du rapport, les recommandations sont claires : changer le statut, réformer les ressources humaines, moderniser la gestion et adapter l’offre de soins. Le cœur de la santé polynésienne bat toujours, mais il fatigue. Et la Chambre ne cache pas son verdict : sans traitement radical, l’hôpital public risque l’épuisement.
De quoi nourrir le voyage de Manuel Valls, ministre des Outre-mer, prévu la semaine prochaine en Polynésie.
Patrice Clech

















