
Pendant des années, la déforestation de l’Amazonie avait bon dos. Soupçonnée d’avoir provoqué la prolifération des sargasses dans l’Atlantique, elle était devenue le coupable idéal de ces marées brunes qui envahissent les côtes antillaises. Mais les récentes conclusions de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) viennent balayer cette théorie. Ce ne sont pas les tronçonneuses en Amazonie, mais un événement climatique exceptionnel qui a déclenché l’explosion des sargasses.
L’affaire remonte à 2009-2010. Cette année-là, un bouleversement océanique sans précédent se produit : l’oscillation nord-atlantique, un phénomène rare, modifie les courants et les températures marines. Les sargasses, jusque-là cantonnées à leur mer éponyme, se retrouvent transportées en masse vers l’Atlantique tropical. Loin de leur zone d’origine, elles trouvent un véritable eldorado biologique : chaleur, lumière, nutriments en abondance. Résultat : une prolifération démesurée, bien supérieure à celle observée dans la mer des Sargasses.
Julien Jouanno, océanographe à l’IRD, est catégorique : grâce à un modèle de simulation développé depuis cinq ans, ses équipes ont démontré que c’est cette dérive climatique – et non l’activité humaine en Amazonie – qui a déclenché la dérive algale. Le courant nord-équatorial, en bon convoyeur saisonnier, n’a fait qu’amplifier le phénomène, poussant ces algues brunes vers les Antilles où elles s’échouent massivement, année après année.
Ce scénario inédit, selon l’IRD, n’a aucun précédent depuis un siècle de relevés scientifiques. Et les perspectives ne sont guère réjouissantes : aucune amélioration n’est attendue à court ou moyen terme. Pire encore, les chercheurs redoutent un nouveau record d’échouages cette année.
L’IRD concentre désormais ses efforts sur la prévision à long terme. Objectif : anticiper, à l’échelle de 10 ou 50 ans, l’impact de ces mutations océaniques. Car si les Antilles sont aujourd’hui en première ligne, rien ne dit que d’autres régions ne suivront pas. L’invasion des sargasses, née d’un déséquilibre climatique ponctuel, pourrait bien devenir une norme durable.
Les scientifiques, cette fois, n’ont plus d’illusion : aucun retour en arrière ne semble envisageable pour les Antilles. Le phénomène est là pour durer, nourri non par la main de l’homme mais par un climat de plus en plus instable.
Patrice Clech

















