Opinion Outre-Mer
20H42 - lundi 19 mai 2025

22 mai : la Martinique va célébrer l’abolition de l’esclavage

 

Au-dessus du ressac, perché à huit mètres du rivage, le mémorial d’Anse Bellay veille sur 56 morts anonymes. Ce jeudi 22 mai, lorsque la Martinique célébrera l’abolition de l’esclavage, nul autre lieu ne cristallisera mieux la mémoire douloureuse de l’île. Créé par un comité citoyen, ce sanctuaire — unique cimetière d’esclaves en Martinique — résiste aujourd’hui aux vents, aux vagues et à l’oubli.

Sur la plage de sable sombre, le tombeau de pierre évoque d’emblée la terreur et le silence. Adultes, adolescents, enfants, leurs os ont été rassemblés dans un sarcophage où dorment aussi trois Kalinagos. On découvre plus loin, enfouis sous un mètre de sable, des traces d’occupations bien antérieures : des poteries du Ve siècle témoignent d’un village arawak, et d’autres du XIIe siècle signalent la présence kalinago, ces premiers habitants insulaires. Cette double strates archéologique confère au site une épaisseur historique rare, passant d’un humble village de pêcheurs à un champ de funérailles clandestines.

Longtemps, Anse Bellay a souffert d’une réputation trouble : légendes de revenants, récits de disparitions, frissons à l’évocation du lieu. Jusqu’à ce qu’un groupe de riverains, attaché à la vérité plutôt qu’aux superstitions, entreprenne son nettoyage et sa sécurisation. Ce sera le Comité Anse Bellay. 

Une urgence morale pour leurs membres. Chaque pierre, chaque ossement, chaque poterie exhumée rappelle en effet la traite, l’enfermement et la mort de milliers de captifs. Le tombeau érigé en bordure du sentier permet d’honorer cette mémoire longtemps ignorée.

Mais la véritable menace ne vient plus seulement des hommes : le littoral, rongé par l’érosion, grignote chaque nuit une parcelle du rivage. Un comité de pilotage, associant spécialistes du génie côtier et membres du comité, planche déjà sur des solutions pour stabiliser le trait de côte et aménager un enrochement pour protéger le site.

Quand les cloches résonneront le 22 mai, devant le mémorial, les discours évoqueront sans doute la libération des esclaves et la victoire morale de la République. Ces mots seront justes, mais incomplets sans l’image brute d’Anse Bellay : un morceau de falaise, un caveau de granit, et le souvenir des vies sacrifiées. Là, pas de stèle triomphale, seulement la puissance d’un lieu qui refuse l’oubli.

À l’heure où d’autres commémorations fleurissent un peu partout, Anse Bellay incarne la revanche des silences et des morts. Les citoyens martiniquais, jeunes et moins jeunes, viennent déposer parfois une bougie, souvent un coquillage. Leurs gestes, discrets, disent plus que mille discours : ils osent affronter la douleur pour la transformer en leçon d’humanité.

Protégé du tumulte par un comité vigilant et par la hauteur du mémorial, le cimetière d’Anse Bellay restera, bien au-delà du 22 mai, un sanctuaire de l’indicible. Ici, le passé n’est pas lointain : il est sous nos pas, dans chaque grain de sable, et il nous regarde en silence.

 

Patrice Clech

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