La chronique de Lucie Breugghe
13H00 - mercredi 25 novembre 2020

De l’impossibilité d’être comédien à l’ère du confinenement… Entretien avec l’artiste Adrien Capitaine

 

 

Jusqu’au 30 octobre dernier, vous incarniez au Théâtre Essaïon (Paris) le condamné à mort de Victor Hugo dans « Le dernier jour d’un condamné ». Vous nous proposiez de suivre son voyage intérieur et là, j’aimerai que vous nous donniez à voir votre voyage intérieur depuis début octobre.

Ce solo sur « Le dernier jour d’un condamné » s’est arrêté brutalement le 30 octobre. Initialement, je devais jouer jusqu’en janvier 2021 avec des perspectives de partenariats autres, des rencontres pour faire vivre cette pièce dans d’autres lieux.  J’étais empli d’espoir. J’avais de l’énergie à revendre pour continuer d’exercer mon métier. Et là, mon futur est torpillé. Je suis dans l’incertitude. Mes projets semblent engloutis.

Ma dernière qui ne devait pas en être une m’a été imposée. Et pourtant, nous nous étions adaptés aux nouvelles règles sanitaires. Nous avions joué le jeu avec l’Etat en suivant à la lettre le protocole. Le soir, après mes représentations, je rentrais seul chez moi. Il faut savoir qu’en tant que comédien, le soir après avoir joué, vous rencontrez le public avec lequel vous échangez, vous allez prendre un verre, dîner. Tout cela, nous l’avions arrêté afin de nous conformer aux règles sanitaires. Je ne comprends pas la cohérence des décisions : nous pouvons prendre le métro mais pas aller au théâtre alors que les salles de spectacle n’ont jamais été identifiées comme des clusters. Nous sommes condamnés et nous réfléchissons comme le condamné de Victor Hugo à notre condition, à ces sanctions et plus largement, à ce que le mot vivant signifie dans l’expression « spectacle vivant » aujourd’hui.

Ce métier de comédien est vieux comme le monde. Il aide à structurer la civilisation. Il apporte de la joie. Il fait réfléchir. Jouer pour moi, c’est un acte militant, poétique, artistique, humain et social. C’est mon métier, ma vie. Je veux me sentir encore vivant aujourd’hui.

Voyez-vous une similitude entre le condamné de Victor Hugo, ses préoccupations, ses sentiments et ce que nous sommes en train collectivement de traverser ?

Dans l’esprit, nous sommes enfermés. On nous impose de rester chez nous et notre chez nous peut-être très petit. On nous contrôle, tout comme le personnage de Victor Hugo qui est contraint de rester dans sa cellule, surveiller par les geôliers. Nous sommes tous comme lui obligés de nous référer à nos souvenirs, nos moments de bonheur. Nous n’avons plus de futur. L’espoir a disparu. Nous sommes victimes d’un enfermement psychologique. Nous tournons en rond et avons perdu toute certitude.

Qu’est-ce qui a changé dans votre manière d’appréhender votre métier ?

 J’ai perdu le sens de mon métier.  

Beaucoup de structures sont fermées et resteront fermées. Les spectacles sont reconduits pour l’année prochaine et ces bouleversement impactent la création. De nombreux reports sont à envisager, des annulations aussi. C’est très frustrant car nous subissons et regardons des compagnies être détruites. Les projets disparaissent. Tout est plus complexe. Le spectacle vivant semble se déliter sous nos yeux. Une compagnie de théâtre, c’est du lien avant tout. Alors il va nous falloir porter ce lien dans des territoires et dans des lieux autres que les théâtres. Il faut envisager de s’exporter ailleurs, donner un spectacle dans un petit village, dans une église, une place publique, …, dormir sur place, créer du lien artistique et repartir sur les chemins pour faire la même chose ailleurs. Il nous faut nous ancrer dans les territoires davantage et continuer à croire en notre métier et en cette force artistique, poétique, politique et sociale. Nous devons continuer à infuser de la joie, de l’espérance. J’aime ce mot infuser.

Quelles mesures prendriez-vous pour sauvegarder votre métier en ce moment ?

Une idée avait été proposée : avec une place de théâtre, vous aviez l’autorisation de vous déplacer, de vous rendre au spectacle réservé pour ensuite, rentrer chez vous. Cette idée, c’est celle d’une exception culturelle française. C’est permettre que la vie reprenne ses droits dans la joie et la bonne humeur, le temps d’un spectacle, d’une parenthèse et nous sentir vivant. En ce moment, c’est très rare d’avoir ce ressenti. Nous avons besoin que les salles de spectacle rouvrent et j’espère que les spectateurs seront au rendez-vous. Le théâtre est une porte ouverte vers un monde onirique, social et politique. Nous en avons besoin.

 

Propos recueillis par Lucie Breugghe

 

Pour réserver « Le dernier jour d’un condamné » de Victor Hugo au théâtre Essaïon

https://www.essaion-theatre.com/spectacle/903_le-dernier-jour-dun-condamne.html

Adrien Capitaine travaille en ce moment pour le théâtre de la ville de Paris sur des consultations poétiques et scientifiques : https://www.theatredelaville-paris.com/fr/spectacles/theatre-partage/les-consultations-poetiques-et-scientifiques

https://www.opinion-internationale.com/2020/11/14/consultations-poetiques-et-scientifiques-au-theatre-de-la-ville-de-paris_81253.html

 

 

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