La chronique de Jean-Philippe de Garate
14H53 - samedi 23 mai 2020

Le roi ne meurt pas. Chronique pour une nouvelle époque par Jean-Philippe de Garate

 

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« Le roi est mort, vive le roi ! », s’époumonait le premier pair de France une fois constaté le décès du monarque, le but de cette proclamation visant, on s’en souvient, à éviter tout interrègne, par définition instable, voire la source de probables désordres. « Le mort saisit le vif », résumaient les légistes. Pour ainsi interdire tout débat, toute latence. Et on allait quérir au plus vite le dauphin, fût-il en barboteuse. Ou plutôt en robe d’infant. Mais désormais vêtu de pourpre : le roi.

On l’a oublié : interdiction était faite au nouveau roi d’assister aux funérailles de son propre père. Pourquoi une telle cruauté ? Parce qu’il n’y a qu’un roi en France. Et le corps du défunt demeurait sacré. Deux rois ne peuvent « cohabiter » (terme qu’on a pu méditer depuis 1986) en France… Une fois déposé dans la basilique Saint-Denis – église muée, en ces années de honte que nous vivons, en une relique en sursis -, le corps du roi suivait les rites du passage vers l’au-delà.

Le roi avait beau être « le très chrétien », il passait difficilement sur l’autre rive. Peut-être quelques arrêts prolongés au purgatoire pour certains Louis XIV, XV…

Mais il ne s’agit plus de cela. Il s’agit de bien plus ambitieux ! de bien actuel ! Il y a quarante ans, en 1980, Romain Gary, à moins que ce soit Emile Ajar, se donnait la mort à Paris, au numéro 108 de la rue du bac.

Personne n’a relevé « le détail ». Un bac est une embarcation qui mène d’une rive à l’autre. La mort la vie… et dans la même artère, celle du « bac », la rue du bac, avaient vécu deux autres « grands gaullistes » à la croix de Lorraine, eux aussi tombés en religion de la France, celle précisément née de Saint-Denis la Catholique, le protestant Maurice Couve de Murville, maître d’une vraie politique étrangère (1958-69) – quand notre pays en avait une ! – et l’agnostique André Malraux, qui y écrivit La Condition Humaine.

Au risque assumé de passer pour « celui qui fait son intéressant », je garde le souvenir de Romain Kazew, cet homme dont le regard croisé devant la sortie du métro « Bac », semblait flotter.  Un après-midi de novembre 1980, si froid, si terne, si triste, un homme marquait un temps d’hésitation juste à la sortie encombrée du métro pour aller ici ou là. Au sens propre, il « bloquait le passage ». Perception fausse ! Gary avait parcouru le monde, Lithuanie Nice Sofia, survécu à Los Angeles et Syrie, il savait parfaitement où il allait ! Il traversait !

Oui, il traversait. Quelques jours plus tard, Romain Gary s’est donné la mort. Prendre le bac pour passer le Styx n’est pas offert à tout le monde. C’est, clairement, un geste de suprématie. Personne d’autre ne décidera pour moi ! « Aucun rapport avec Jean Seberg » avait tenu à préciser celui qui, toute sa vie, se jouant des réalités, des décors et cartonnages d’Hollywood comme des pauvres maisons de bois de Vilnius, aura été si flamboyant ! le Chagall de notre littérature ! l’aviateur des Racines du Ciel, le vieil homme qui ose titrer « La Vie devant soi ». Deux prix Goncourt pour un seul : interdit ! une vie d’interdits, de Résistance… du clandestin, trois quatre mythes et inventions – les lettres de sa mère morte- de l’unique. Quelque chose, déjà, de royal.

Mais non ! Il ne s’agit même pas de cela. Enfin ! Tout de même ! On pourrait se pencher sur les derniers mots du dernier roman de celui qui va mourir de sa main ! « (…) je lui parlerai un jour du roi Salomon que j’entends rire parfois, penché sur nous de ses hauteurs augustes ». (op.cit.) La phrase à relire !

Le roi dont il s’agit, c’est bien le roi Salomon. Et de son angoisse. Pas de celle face au jugement qu’il doit rendre : on le sait bien, depuis la Bible : la seule mère est celle qui aime l’enfant ! Affaire suivante ! Non ! « L’Angoisse du Roi Salomon » est ailleurs. Mais elle est réglée dès la première page : Salomon est un mortel qui jusqu’au bout, n’acceptera qu’au-delà d’une certaine limite, son ticket ne soit plus valable. C’est lui qui décide, pas la comptable des EPHAD. Morts du COVID « hors EPHAD ». Et hors connerie ? 1990-2020 : Ce monde des monstres, l’odyssée de la bêtise crasse, ces administrations et open-spaces partout et cette humanité nulle part… Mon Dieu, comme Emile nous manque !

Jeannot le taxi « charge » un client, Salomon le roi du pantalon. « J’avais tout de suite remarqué qu’il était très digne de sa personne, avec des traits bien faits et forts, qui ne s’étaient pas laissé flapir. (…) Je n’avais encore jamais transporté quelqu’un d’aussi bien habillé à son âge. J’ai souvent remarqué que la plupart des vieux messieurs en fin de parcours, même les plus soignés par les personnes qui s’en occupent, portent toujours des vêtements qu’ils avaient déjà depuis longtemps. » Ces premières phrases, à la page 9 de « L’Angoisse du Roi Salomon ». Avec trois cents pages du même tonneau !

Je voudrais proposer une nouvelle règle, le postulat d’Ajar. Dans le monde voisinent loups et agneaux, seigneurs et maîtres. Mais il suffit qu’un agneau dise « non », pour que les loups reconsidèrent l’ensemble des moutons. Arrêtons de bêler, braves gens… et ne tombons jamais sans combattre !

Malraux, toujours emphatique, l’avait suggéré, autrement, dans le bien nommé « Les Voix du Silence » : « L’humanisme, ce n’est pas dire : « Ce que j’ai fait, aucun animal ne l’aurait fait », c’est dire : « Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête, et nous voulons retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase ». 

 

Jean-Philippe de Garate

 

 

 

 

 

 

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