Afriques demain
07H12 - lundi 13 janvier 2020

G5 Sahel : l’année africaine de Macron commence à Pau. L’édito de Michel Taube

 

2020, c’est l’année du Sommet France – Afrique qui se tiendra à Bordeaux début juin, le zénith du quinquennat de « Macron l’Africain » qui avait commencé très fort avec son fameux discours fondateur de Ouagadougou fin 2017. Ce Sommet sera aussi suivi par la Saison Africa2020 à partir de juin et le Sommet de la francophonie à Tunis en décembre.

Mais cette année africaine commence à Pau (Pyrénées Atlantiques), la ville de François Bayrou mais surtout du 5ème régiment d’hélicoptères de combat (RHC) où six chefs d’Etats (M. Ibrahim Boubacar Keïta pour le Mali, M. Roch Marc Christian Kabore pour le Burkina Faso, M. Mahamadou Issoufou pour le Niger, M. Mohamed Ould Ghazouani pour la Mauritanie, M. Idriss Déby pour le Tchad et Emmanuel Macron) rendront hommage aux sept militaires de la capitale béarnaise morts en opération au Mali avant de se rendre au Château de Pau, rejoints par M. Charles Michel, Président du Conseil européen, Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies, M. Moussa Faki, Président de la Commission de l’Union africaine, et Mme Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie. Pau sera en somme la capitale de l’Afrique et du monde pendant quelques heures…

Mais c’est un Sommet à haut risque qui s’ouvre à Pau cet après-midi.

Initié dans la douleur aux lendemains de la disparition tragique de treize soldats français au Mali le 25 novembre 2019, reporté au lendemain de l’assassinat de 71 soldats nigériens le 11 décembre, – des dizaines de soldats maliens, burkinabés et nigériens tombent chaque semaine -, perçu en Afrique comme une sorte de diktat élyséen imposé aux cinq chefs d’Etats qui composent le G5 Sahel, le Sommet de Pau est pourtant nécessaire pour sauver ou relancer (selon le degré d’optimisme de chacun) la fameuse force conjointe.

L’enjeu est loin d’être seulement sécuritaire. Certes, les troupes africaines et les 4500 soldats de la force Barkhane peinent à stopper la sale guerre d’usure et d’apeurement que les djihadistes mènent au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Pour y remédier, la formation de troupes d’élites, l’ouverture d’une académie militaire d’excellence en Côte d’Ivoire, l’implication de troupes européennes (pardon, de quelques pays membres de l’Union Européenne) devraient permettre de contenir les terroristes. Saluons ici les armées des cinq membres du G5 Sahel sans lesquelles le combat militaire ne pourra se gagner ! Il faut les renforcer !

Mais le double défi le plus audacieux est celui du développement économique, éducationnel et de la bonne gouvernance démocratique et administrative de ces pays africains. On oublie trop que le fameux G5 Sahel n’est pas qu’un dispositif militaire et qu’il comporte un volet de développement économique. Les budgets existent, les projets d’investissement manquent et les garanties de bonne gouvernance encore davantage. Pau sera-t-il le moment du rééquilibrage sécurité – économie ?

Le défi est ensuite géopolitique. La France ne peut plus seule porter la responsabilité opérationnelle de la coordination militaire et de la présence au sol d’un dispositif qui couvre un territoire six fois plus grand que le sien. En Afrique comme ailleurs, la lutte contre le terrorisme islamiste nécessite une coalition mondiale : le G5 Sahel devrait reposer sur un consortium de puissances parfaitement coordonnées. L’une des (rares ?) bonnes nouvelles annoncées à Pau est ainsi la participation personnelle de Charles Michel, nouveau président du Conseil européen. Il serait temps que l’Union Européenne s’implique pleinement dans cette guerre et mobilise des moyens à la hauteur de la menace. 

Rêvons un peu… Et si Emmanuel Macron, qui est capable d’audaces diplomatiques (il avait surpris son monde en août 2019 en recevant au G7 de Biarritz le ministre des Affaires étrangères iranien), profitait des bonnes relations renouées avec Moscou pour inviter Vladimir Poutine à Pau ? Ce serait un coup de maître fort utile car l’implication de soldats russes dans le Sahel allégerait l’effort français et rassurerait nos amis africains à qui Moscou fait la danse du ventre depuis quelques mois (Poutine a organisé le 23 octobre dernier le premier Sommet Russie – Afrique à Sotchi).

 

La bataille des cœurs

Reste un défi que Pau ne résoudra pas. Et il est le plus important ! Le chantier principal de l’année africaine d’Emmanuel Macron sera la bataille des cœurs africains car le sentiment anti-français s’y répand comme une trainée de poudre.

Jamais une intervention extérieure durable ne saura « imposer » à un peuple la liberté contre lui-même. Mais il faut le rappeler sans cesse : c’est le Mali qui a appelé la France à la rescousse en 2013. S’il y a des bébés « Hollande » au Mali, ce n’est pas pour rien ! Et ce sentiment anti-français est profondément injuste lorsque circulent de pseudo-sondages prétendant que « 73% des Maliens pensent que la France est complice dans les attaques contre les forces de défense africaines ». Ceux qui distillent ce poison devraient se demander ce qui se passerait si demain matin, comme le demandent de plus en de Français, les troupes françaises se retiraient du Sahel…

Notre devoir est pourtant bien de nous demander comment la France pourrait gagner cette bataille des cœurs ? Le président français hérite d’un lourd passif en la matière : car 2020, c’est aussi le coup d’envoi de l’année des indépendances africaines ! Nul doute que, tout au long de 2020 et des prochaines années de commémoration, la France se verra reprocher un néo-colonialisme pourtant largement dépassé aujourd’hui.

Car s’il y a un dirigeant français qui essaie, tant bien que mal, et contre les conservatismes français et africains les plus ténus (suivez mon regard déjà à Pau…) de faire bouger les lignes, de mettre de l’horizontalité partenariale dans une relation verticale néo-coloniale dépassée, c’est bien Emmanuel Macron.

Mais le chef de l’Etat a-t-il vraiment été entendu, suivi depuis son discours de Ouagadougou ? La promesse de Ouagadougou d’un partenariat gagnant – gagnant sera-t-elle accomplie entre Pau et Bordeaux ? Il faudra qu’Emmanuel Macron retourne souvent sur le terrain en Afrique pour s’adresser aux Africains et expliquer la sincérité de notre démarche…

Reste un point capital pour le Sommet de Pau et pour l’Afrique : rappeler simplement pourquoi tout le monde se retrouve dans la capitale béarnaise. L’islam radical est en train de dévaster l’Afrique, bien au-delà des cinq membres du G5 Sahel. Comment la gangrène islamiste a-t-elle pu prendre ? Comment la faire reculer ? Des savoirs, des énergies, des talents et des moyens colossaux devraient être employés dans cette guerre idéologique et le Sommet de Pau devrait s’en préoccuper. Le Conseil Présidentiel pour l’Afrique, créé par Emmanuel Macron en 2018, en mal de missions concrètes et de raison d’être, pourrait-il s’en charger ?

Si l’esprit du sud-ouest, entre Pau et Bordeaux, pouvait inspirer les esprits et les coeurs, l’année africaine d’Emmanuel Macron serait utile à l’amitié franco-africaine et, pour tout dire, à l’Afrique elle-même…

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de la publication