Afriques demain
07H49 - vendredi 2 décembre 2022

Cedeao : qui soutient Doumbouya ? La chronique d’Eric Bazin

 

Après s’être réunis près de trois heures en sommet extraordinaire, le 22 septembre 2022, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, les pays ouest-africains avaient annoncé des mesures de rétorsion « graduelle » contre la junte guinéenne.

Les chefs d’Etats et de gouvernements de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avaient clairement exprimé leur irritation face à l’attitude de Mamadi Doumbouya, soupçonné par tous les observateurs sérieux de vouloir s’éterniser au pouvoir.

Les sanctions imposées par le Sommet extraordinaire de New York allaient du rappel pour consultation des ambassadeurs des Etats de la Cedeao accrédités en Guinée à la suspension de toute assistance financière en faveur du pays par les institutions sous-régionales telles que la Banque d’Investissement et de Développement de la Cedeao (BIDC), et des sanctions ciblées contre les membres de la junte accusés de chercher à empêcher le retour à l’ordre constitutionnel dans un délai raisonnable.

La conférence avait également laissé un mois aux militaires guinéens, à compter du 22 septembre 2022, pour proposer une durée de transition raisonnable et acceptable par la Cedeao, sous peine de sanctions plus sévères. C’est ce qui aurait été fait ce samedi 22 octobre à l’issue d’une mission technique de l’organisation sous-régionale, où Mamadi Doumbouya a annoncé un délai de vingt-quatre mois avant de rendre le pouvoir aux civils, tout en précisant que cette période commencerait en début de l’année prochaine. Le problème, c’est qu’elle porte la durée de la transition à plus de trois ans comme le souhaitait la junte.

En attendant la tenue du prochain sommet ordinaire de la Cedeao pour approuver ou non ce calendrier présenté comme un « compromis dynamique », et obtenu dans un climat de grande tension entre la junte et l’opposition, nous nous proposons de faire un tour d’horizon des soutiens, réels ou supposés des putschistes dans la sous-région en se focalisant sur les acteurs importants.

 

Umaro Sissoco Embalo, l’amoureux éconduit

Avant de prendre la tête de la croisade contre le rallongement de la durée de la transition en Guinée, le président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, et président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao, était apparu comme l’un des fervents soutiens de la junte dans la sous-région. Premier chef d’Etat à s’être rendu à Conakry après le coup d’Etat, il ne s’était pas gêné de montrer sa proximité avec les putschistes. Cela dit, il était de notoriété publique que ses rapports avec le président Alpha Condé étaient exécrables.

Mais le vent n’a pas tardé de tourner et la lune de miel a viré à un affrontement à fleurets mouchetés depuis que les membres de la junte l’ont roulé dans la farine, en le laissant annoncer seul, avant de le démentir en des termes peu diplomatiques, un accord sur la durée de la transition lors de la visite du président français, Emmanuel Macron, à Bissau, en juillet dernier. Lequel accord censé écourter la durée de la transition aurait été trouvé à l’occasion d’une visite qu’il avait effectuée quelques jours avant à Conakry.

Depuis cet épisode, Umaro Sissoco Embalo n’a pas de mots assez durs contre les auteurs du coup d’Etat. Et ceux-ci le lui rendent bien. Alors que le président en exercice de la Cedeao avait prévenu que la Guinée s’exposerait à de « lourdes sanctions », l’une des figures de la junte, le colonel Amara Camara, s’était livré à une violente charge contre lui, l’accusant de pratiquer une diplomatie de « guignols ». Ambiance !

Comme on ne demande pas à un homme politique d’avoir raison, mais d’être cohérent, on est en droit de supposer qu’il sera difficile au président bissau-guinéen d’accepter le chronogramme proposé ce 22 octobre 2022, ne serait-ce que pour sauver la face.

 

Alassane Ouattara, échaudé, se tient à bonne distance

A l’issue du voyage qu’il avait effectué à Conakry, le 17 septembre 2021, soit deux semaines à peine après le coup d’Etat, en compagnie de son homologue ghanéen, le président ivoirien a laissé entendre qu’il avait décelé chez Mamadi Doumbouya de bonnes aptitudes à conduire rapidement la transition. Mais devant les louvoiements et les manœuvres dilatoires du chef de la junte, le président ivoirien a dû se raviser et admettre qu’il avait parlé trop vite.

Pour ne rien arranger, il est lui-même confronté à l’hostilité d’autres putschistes, ceux de Bamako, qui retiennent en « otage » selon ses propres termes, 46 militaires ivoiriens qu’ils accusent d’être des mercenaires. Faisant sien l’adage qui dit que qui se ressemble…s’assemble, le chef de l’Etat ivoirien se méfie désormais des militaires au pouvoir en Guinée.

Pourtant, eux, multiplient les appels de pieds dans sa direction. On se souvient que le 23 septembre dernier, Mamadi Doumbouya s’était rendu chez son ami Assimi Goïta pour assister aux festivités du 62e anniversaire de l’indépendance du Mali. Plusieurs sources ont indiqué qu’il avait profité de ce séjour pour plaider auprès de son compère putschiste la libération des militaires ivoiriens toujours détenus à Bamako. De même, début octobre, il a dépêché à Abidjan, une délégation conduite par son ministre de la Sécurité, Bachir Ballo, pour « s’imprégner du modèle ivoirien ».

On peut se demander si ces gestes suffiront au président ivoirien pour cautionner les dérives dictatoriales du chef de la junte ? Il est permis d’en douter.

 

Mohamed Bazoum, l’anti-putschiste assumé

En juillet 2021, le président nigérien n’avait pas mâché ses mots à l’endroit des colonels maliens. Avec le franc parlé qu’on lui connaît, Mohamed Bazoum avait dénoncé la propension des militaires de Bamako à renverser les régimes démocratiquement élus après les revers militaires. « Il ne faut pas permettre que les militaires prennent le pouvoir parce qu’ils ont des déboires sur le front (…), que les colonels deviennent des ministres ou des chefs d’Etat », avait-il fait savoir lors d’une conférence de presse commune avec son homologue français, Emmanuel Macron.

Ces propos n’avaient pas été du goût des autorités maliennes. Le Premier ministre par intérim, Abdoulaye Maïga, profita alors de la tribune des Nations unies pour qualifier Mohamed Bazoum « d’étranger qui se réclame du Niger ». On le voit, le président nigérien est notoirement connu pour ses positions anti-putschistes.

Selon nos informations, il aurait poussé les autres dirigeants de la Cedeao, lors du Sommet extraordinaire de New York, a adopté une attitude de fermeté contre les auteurs de coups d’Etat, que ce soit au Mali ou en Guinée. Si cela ne tenait qu’à lui, les sanctions annoncées contre la junte guinéenne auraient dû être plus sévères, au lieu de graduelles.

Pour autant, Mohamed Bazoum est loin d’être un dirigeant complaisant à l’égard des putschistes de Conakry. Le moins qu’on puisse dire, ce n’est pas lui qui donnera un blanc-seing à Mamadi Doumbouya.

 

Muhammadu Buhari, exorciser les démons du passé

A 79 ans, le président nigérian, Muhammadu Buhari, est un vieux routier de la scène politique ouest-africaine, auquel on ne saurait apprendre à faire des grimaces.

Ancien putschiste ayant troqué son treillis contre le costume respectable du président démocratiquement élu, il goûte très peu le retour du démon des coups d’Etat dans la sous-région. Même si depuis le double putsch au Mali et l’irruption des militaires guinéens sur la scène politique, on l’a très peu entendu, laissant son ministre des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, s’exprimer et participer aux sommets de la Cedeao. De toute évidence, il est très irrité par l’attitude de Mamadi Doumbouya.

Le Nigeria étant la première économie de la sous-région, son président voit d’un mauvais œil les changements brusques de régimes, extrêmement préjudiciables pour le business. Sans compter que Muhammadu Buhari entretenait d’excellentes relations avec le président Alpha Condé. Son compatriote Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) avait d’ailleurs rendu un vibrant hommage, en avril dernier, à l’ancien président guinéen qui, à l’en croire, est un « Africain remarquable ».

 

Nana Akufo-Addo, une méfiance atavique

Lorsqu’il s’était rendu dans la capitale guinéenne quelques jours seulement après le coup d’Etat du 5 septembre 2021, le président ghanéen, qui était alors président en exercice de la Cedeao, s’était bien gardé d’adresser la parole aux putschistes. Selon nos informations, il avait laissé le soin au président Alassane Ouattara qui l’accompagnait de mener les discussions avec les auteurs du coup d’Etat. C’est le signe qu’il se méfiait déjà de ces militaires qui prétendaient se placer au-dessus des institutions démocratiques en usurpant la souveraineté populaire.

D’ailleurs, il a souvent pris les coups d’Etat pour ce qu’ils sont : un crime imprescriptible contre les peuples. C’est pendant sa présidence que l’organisation sous-régionale avait fait pression contre le Mali, dont les dirigeants traînaient les pieds pour proposer un calendrier clair. Nana Akufo-Addo a toujours plaidé pour des sanctions sévères contre les putschistes, estimant que les coups d’Etat sont une « aberration », compte tenu du chemin qui doit être celui des Etats ouest-africains.

Pour lui, les sanctions constituent « le socle de la Cedeao » parce qu’elles permettent de marquer la « désapprobation » de la communauté à l’égard de ceux qui en violent les règles fondamentales. Ancien opposant devenu chef d’Etat, Nana Akufo-Addo, sait de quoi il parle : son pays, le Ghana, n’a connu la stabilité qu’une fois débarrassé du cycle infernal des coups d’Etat.

 

Macky Sall et Faure Gnassingbé, une attitude illisible

Autant on ignore si le président sénégalais briguera un troisième mandat ou non, autant très peu de choses filtrent sur ses véritables sentiments à l’égard des putschistes. Au-delà des condamnations de principe, Macky Sall se fait discret sur le principe des sanctions contre les autorités de la transition.

Si vous interrogez ses proches, ils vous répondront que le président sénégalais est « pragmatique ». Il ne serait pas contre les sanctions, mais milite pour laisser une chance au dialogue. Bien étrange conception du respect des institutions que celle d’un président pourtant démocratiquement élu. D’autant que le Sénégal partage plusieurs centaines de kilomètres de frontières avec la Guinée, mais aussi avec le Mali, et que ces coups d’Etats peuvent donner des idées à ses propres soldats. Bien entendu, ce n’est pas ce que nous souhaitons pour le Sénégal.

 

Faure Essozima Gnassingbé, la sagesse laissée au temps

Il est l’une des rares personnalités de la sous-région qu’Assimi Goïta écoute. Il se murmure qu’il a pris l’habitude, dans les sommets de la Cedeao, de plaider la cause des autorités de la transition, aussi bien au Mali qu’en Guinée, afin de leur éviter des sanctions. Une attitude qui est critiquée par ses homologues. S’il est devenu incontournable auprès des putschistes, son positionnement suscite des interrogations.

En résumé, Mamadi Doumbouya ne compte très peu de soutiens au sein de la Cedeao. Dans les faits, il sait ruser avec le sentiment de certains chefs d’Etat.

Réussira-t-il à les berner, tous, pour se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir ?

La question demeure posée.

 

Eric Bazin

Le Lab

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