La chronique de Philippe Rosenpick
08H00 - lundi 15 avril 2019

Le Brexit selon Blek le Rat : l’homme qui traverse les murs… Mais dans quel sens ? La chronique de Philippe Rosenpick

 

En cette Journée mondiale de l’art, Philippe Rosenpick nous propose une nouvelle chronique street art à la une d’Opinion Internationale.

 

On l’a vu partout : à Paris, à New York, à Buenos Aires, à Taipei… Parfois seul, parfois accompagné d’un mouton, parfois au milieu d’autres graffitis, sur des murs, des portes, des quais… Cet homme est partout. Un cousin éloigné qu’on a vu ici et qu’on retrouve là, qui donne un air familier à l’endroit où on le rencontre, qui vous dirait avec un air malicieux et décalé, avec ses lunettes et son costume noirs : « eh oui je suis encore là ! ».

 

Créé en 2004 par Blek le Rat, de son vrai nom Xavier Prou, ce pochoir est « l’homme qui traverse les murs » ; l’homme qui traverse les continents et la planète aussi, jouant à saute-mouton (on peut oser le dire) au-dessus des frontières et des océans.

Coucou me revoilà. Un look universel de grand voyageur sérieux, peut-être pour rappeler que les artistes, le street art, sont à prendre au sérieux, que le messager porte des messages sérieux de fraternité et de lien universel entre les peuples et entre les artistes, partout dans le monde. En traversant les murs, Blek le Rat illustre à merveille la révolution majeure du XXIème siècle : la communication et l’accessibilité au voyage, qui n’est plus réservé à une élite. L’aboutissement d’une époque qui, grâce aux moyens de transport, permet à chacun de prendre le monde dans sa main, de s’émerveiller, d’exporter sa culture et de ramener en retour des bouts de monde accrochés à ses chaussures, incrustés dans son esprit et rivés dans ses yeux. Ce voyageur avec ses stencils va à la rencontre des uns et des autres partout dans le monde. Affichant souvent un drapeau français sur la valise, il signifie d’où il vient, exportant en quelque sorte les valeurs universelles portées par la France. Libre, nomade, il porte l’espoir, la fraternité entre les peuples.  Ces aspirations qui ont poussé à la construction de l’Europe d’après-guerre par une génération qui, à partir des années 60  a eu les cheveux aussi longs que leurs rêves.

 

« L’homme qui traverse les murs »

L’œuvre colorisée de « l’homme qui traverse les murs », mise en évidence pour cet article, est toute récente. Elle semble reprendre cette thématique à prime abord mais le drapeau sur la valise n’est plus français mais anglais, insinuant tout de suite et de manière subtile que le message peut être  différent. L’homme s’est-il trompé de sens ? Le drapeau anglais sur la valise et l’athmosphère, l’arrière-plan constitué de taches de couleur, de déchirures presque, qui semblent créer une sorte de toile de fond chaotique et cataclysmique, opposent une perception en couleur agréable à regarder au sens profond de l’œuvre telle que l’on peut la deviner et qui s’impose peu à peu. On revient du rêve, il y a de la couleur, encore du bleu, mais c’est la tempête qui se prépare.

C’est évidemment le Brexit ! L’homme traversait les murs pour aller vers les autres en signe d’ouverture, il en revient presque chassé par un coup de pied aux fesses. La toile est saillante comme le rêve d’Europe l’a été et si l’homme est toujours là, après avoir traversé le monde dans tous les sens, il doit maintenant revenir chez lui, à contre-courant de l’histoire.

Fin de l’illusion, fermeture des frontières, retour en arrière, l’homme en costume noir revient dépité car on sent bien que les couleurs choisies pour illustrer le propos ne sont pas des couleurs qui inspirent la gaité et l’espoir : le noir avec des projections comme des traces de DCA dans le ciel, des projections rouge sang, du gris. Un fond de toile sans unité, comme l’Europe. Comme l’Europe sans le Royaume Uni. L’homme a perdu son côté malicieux, son côté transfrontalier. Quelle tristesse, quelle absurdité !! Mais il est toujours là et « s’il en revient », il est prêt à y retourner, inlassablement, pour porter l’espoir auquel certains semblent avoir tourné le dos. Il nous pousse à la réflexion. Comment peut-on prôner la fermeture dans un monde qui s’est nourri d’autant d’espoir ? Que veut dire l’Europe sans l’Angleterre ? Comment vouloir isoler l’ile du continent sans imaginer avoir à affronter, si cela se passe mal, le jugement de l’Histoire et les familles de ces milliers de soldats anglais venus mourir justement sur le continent pour lui donner la liberté qui a été la sienne depuis plus de 70 ans ? Comment peut-on admettre cette fatalité de la déception des peuples ? Comment pousser l’homme qui traversait les murs à les retraverser dans le mauvais sens ? Blek sonne le carillon de Westminster. Il faut espérer que l’histoire remette l’homme au costume noir sur le chemin du voyage. Il faut espérer que le 31 octobre prochain ne soit pas une date rouge et noire comme le fond du tableau de Blek mais la date d’un nouvel espoir qui porte à nouveau Blek et ses stencils à dessiner sur les murs de l’Angleterre.

En utilisant le même graphique, Blek nous permet ainsi de comprendre que la même image utilisée dans des contextes différends peut prendre un sens différent. Blek, formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, n’est pas seulement un grand artiste peintre, c’est aussi un intellectuel. Ce n’est pas seulement le précurseur du street art, le devancier de Banksy, le père fondateur du pochoir, c’est un artiste qui comme son voyageur, traverse les époques et n’est pas figé. Son travail récent où il réutilise ses pochoirs, associés à un vrai travail de peinture, leur donnent une nouvelle vie, une nouvelle âme et un nouveau sens. Toujours en prise avec son époque. La couleur des tableaux actuels leur donne un côté peut-être plus percutant et encore plus accessible si on veut s’arrêter sur le jeu des couleurs et le coté figuratif. Mais quelle que soit la technique utilisée, ces pochoirs ont toujours quelque chose à dire, même si le sens a pu évoluer au fil du temps.

C’est bien le sens de l’art d’avoir quelque chose à dire. D’ailleurs le mot RAT est l’anagramme d’ART et il fallait oser adopter un pseudo qui comprenne le mot rat. Comme pour souligner à travers cet animal toute l’ambivalence de l’Homme qui tour à tour peut être porteur et messager de désolation mais aussi porteur de prospérité et de résilience à la vie elle-même… au-delà du Brexit.

Un intellectuel malicieux !!

 

Desfilis, copyright : Marion Gambin

 

Philippe Rosenpick 

Avocat associé chez Desfilis, organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, membre de la commission d’appel de la Fédération Française de Rugby, Chevalier de la Légion d’honneur

 

 

 

 

 

 

 

 

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