La chronique de Philippe Rosenpick
08H31 - vendredi 1 février 2019

« Enjoy the golden Future » de Shepard Fairey. La chronique street art de Philippe Rosenpick

 

Voici un choix engagé dans notre fameux « ministère international des beaux-arts » : place au street art !

L’art pour l’art, non ! L’art pour dire le beau et l’inscrire dans la cité des hommes, oui !

Le street art n’est pas, pour certains, de l’art contemporain mais il est mieux : actuel et vivant, le seul art à la fois mondialisé et local, nomade et populaire.

Avocat d’affaire, passionné de rugby, chroniqueur régulier d’Opinion Internationale, Philippe Rosenpick est aussi collectionneur de street art. Organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, il inaugure une chronique qui présentera l’œuvre d’un artiste de street art.

A travers chaque œuvre, Philippe Rosenpick explique la démarche artistique et citoyenne de l’artiste. Première livraison : Shepard Fairey.

Michel Taube

 

Pourquoi une rubrique Street art ? 

Parce que c’est l’art de notre époque, comme l’a dit Mr Braun autrefois au sujet de l’art contemporain. Une pratique artistique, à l’origine clandestine et réprimandée, qui s’affiche aujourd’hui dans nos cités pour leur redonner des couleurs, embellir les rues et les immeubles tout en véhiculant du sens.

Il n’y a pas un « street art » mais de multiples modes d’expression et techniques graphiques qui permettent à tout le monde de trouver un point d’entrée. Ce mouvement va vers les gens et souvent les interrogent sur l’évolution de nos sociétés, de manière malicieuse et ironique, parfois plus grave et contestataire, et ne laisse jamais indifférent. Les jeunes générations sont nomades, ont de plus en plus de talent et s’affranchissent des carcans, loin de la marchandisation de l’art contemporain qui ne semble plus vanter que des démarches intellectuelles accessibles à une infime minorité. C’est un art qui se nourrit de l’histoire de l’art mais aussi de géographie, de sociologie, d’anthropologie, du temps présent. 

Crey 132 a réalisé une magnifique fresque pour honorer le bleuet de France et le centenaire de la première guerre mondiale sur la place devant les Invalides : un drapeau français qui se resserre autour des valeurs de solidarité et de fraternité. Peu de temps après le mouvement des gilets jaunes éclate. Prémonitoire ? Un message non entendu par nos élites ? Pour autant, les gilets jaunes se réuniront le 19 janvier 2019 autour de cette même place pour démarrer leur déambulation du samedi dans la capitale. Certains ont des pancartes dans le dos : la Marianne de Shepard Fairey, un artiste américain engagé, dont le tableau trône dans le bureau du Président de la République. Mais détourné car elle a un œil au beurre noir ! Une œuvre qui, sauf erreur, a été créée après le Bataclan pour vanter les valeurs universelles de la France… Une France que certains trouvent malmenée dans ses valeurs ? Au centre des symboliques qui s’expriment et qui interrogent, deux réalisations de deux street artistes…. En plein dans le mille… En plein dans notre époque… Le street art est un art qui touche le peuple. 

Il est vrai qu’il aurait été difficile de manifester avec une pancarte de Buren ou de Carl André dans le dos…

 

Philippe Rosenpick

Au moment où nous nous interrogeons sur la perte de repères, sur la fin de l’âge d’or que furent les trente glorieuses, alors que les gilets jaunes crient leur désarroi face au futur, ce tableau de Shepard Fairey interpelle notre avenir.

Qui regarde le futur droit dans les yeux ? Qui se cache le plus derrière des lunettes noires, des apparences ou derrière un voile ?

La composition équilibrée et les couleurs poussent dans un premier temps à s’approprier l’œuvre comme d’un bel objet : chatoyant et visuel. Mais plus on rentre dans l’œuvre, plus cet esthétisme est grinçant, menaçant. Le Golden Future se déchire, s’échappe, obscurcit le visage de la top model cachée sous ses lunettes, la fait passer à l’arrière-plan. A l’opposé, on ne voit que la femme voilée, son regard qui se détache. C’est elle le Golden Future ? C’est un cri d’alarme pour faire atterrir la femme occidentale avant que tout ne se dérobe sous ses pieds ? A moins que la femme voilée ne représente le futur de la femme occidentale ? Les usines et la voiture symbolisent à la fois le progrès mais aussi la menace sur l’environnement et donc le futur ? 

Une autre interprétation pourrait être une volonté de dénoncer l’exploitation par l’Occident (la top model) d’autres peuples pour produire des richesses (usines et Rolls) qui pourtant ne créent plus les conditions d’un Golden Future qui se déchire et qui porte atteinte à l’environnement. Avec l’apparition d’un nouveau monde incarné par la femme voilée dont le regard hypnotise. 

« Idealized Optics » : la formule peut symboliser le danger d’une civilisation qui s’efface, sans que la top model ne le voit vraiment, cachée derrière ses lunettes. Le Golden Future, c’est quoi ? A quoi ça va ressembler ?  En tout cas, ce tableau est une alerte. 

Shepard Fairey indique que l’affiche n’a pas de sens en soit, mais doit pousser les visiteurs à la contempler et lui donner une signification, mêlant l’esthétisme et le sens.

Shepard Fairey, est un artiste engagé. Chacun de ses collages est inspiré des codes visuels de la publicité, de la propagande politique et de l’industrie ; codes qu’il détourne pour appeler à la réflexion. Dans beaucoup de grandes villes, on trouve de grands murs, des panneaux monumentaux comme à Seattle récemment. Ils embellissent les villes par leur esthétisme mais servent également un discours contestataire qui interroge nos sociétés, leur évolution, la domination, le racisme et l’ostracisme. Les visuels, le mixage des techniques et des graphismes flatteurs rendent d’autant plus percutants les messages, le tout donnant l’impression d’être emprunté à la propagande soviétique. Ces visuels dénoncent une autre propagande, bien occidentale cette fois.

Pour mémoire, S.F. a réalisé la célèbre affiche « Hope » à l’effigie d’Obama en soutien à sa premier campagne. Il a aussi réalisé après l’attentat du Bataclan le tableau « liberté égalité fraternité » qui est dans le bureau du Président Emmanuel Macron et le tableau « Earth Crisis » pour la COP 21 qui s’est tenue à Paris, pour alerter sur les menaces contre l’environnement. 

 

Desfilis, copyright : Marion Gambin

Philippe Rosenpick 

Avocat associé chez Desfilis, organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, membre de la commission d’appel de la Fédération Française de Rugby, Chevalier de la Légion d’honneur