La chronique de Philippe Rosenpick
17H20 - vendredi 21 février 2025

Le tableau bleu blanc rouge de Seth. La chronique de Philippe Rosenpick

 

Alors que l’exposition qui mêle Street art et art classique au Petit Palais vient de prendre fin, les centaines de milliers de visiteurs ont pu apprécier ce mélange d’époques, de lignes, de lumière et de rayonnement. Le street art est de l’art à part entière ! Mais il a aussi une vocation sociétale qui permet de s’interroger sur notre présent et notre histoire pour mieux construire l’avenir.

À ce titre, le tableau de Seth intitulé « la semeuse de trouble » est emblématique et nous interpelle sur la situation actuelle de notre pays et sur son avenir.

C’est d’abord un tableau visuellement très agréable à regarder. Il pourrait être utilisé comme carte de vœux de la République.

Il offre un réel plaisir contemplatif, des sensations visuelles apaisantes, une satisfaction kantienne qui permet de rester en surface et de se faire plaisir sans se prendre la tête, à base de bleu blanc rouge.

On pourrait en rester là : les cercles concentriques aux couleurs de la France qui grandissent et nous arrivent comme un écho rassurant ; la construction de l’image invitant à relever le regard vers une jeune Marianne qui, malgré le vortex tourbillonnant, signe des temps, file vers un ciel étoilé. Une France immuable qui finit toujours par s’en sortir et décrocher les étoiles. Comme pour dire « ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer ». « La dette, la croissance atone, le chômage qui remonte, le déficit commercial… allez, ne vous inquiétez pas, la France reste la France ».

Seth utilise souvent des enfants pour atténuer ou adoucir le message, créer d’abord une image qui se suffit à elle-même, tout en prenant le contre-pied et parler de choses sérieuses. Un peu comme Saint-Exupéry, il donne une impression faussement naïve qui pousse à la réflexion et permet au fond de s’appuyer sur la douceur de la forme, pour s’imposer avec évidence. Pour paraphraser Daniel Arasse qui dit « on y voit rien », chez Seth « on y voit tout », avec douceur. Ce « tout » qui s’impose au fur et à mesure que l’on regarde l’image, sentant bien qu’elle cache sous son apparence bienveillante une interpellation.

En regardant de plus près c’est-à-dire en prenant du recul, on s’interroge en effet. On ne sait pas trop si l’image témoigne d’une exhortation à aller en avant ou si Marianne tourne le dos à son avenir pour s’enfoncer dans un trou noir, les étoiles étant inaccessibles. Le vortex symbolisé par les cercles bleu blanc rouge est un tourbillon qui entraîne Marianne, mais vers où ? Seth nous parle-t-il d’une République dépitée qui se souvient d’un passé glorieux qu’elle aspire à retrouver ou d’une France qui vit dans le passé, incapable de faire face au futur ? Il y a beaucoup de vide dans l’image. La France tourne-t-elle à vide ?

On sent diffusément une inquiétude, une alarme.

Marianne est ici une très jeune fille et le propre de la jeunesse est de semer le trouble sur ce que les parents croyaient acquis. Et qu’ils ont laissé filer, engourdis par une époque qu’ils croyaient rectiligne, qui les a élevés dans un confort qu’ils croyaient immuable et leur a inculqué la peur de lutter, la peur des batailles existentielles. Qui reviennent forcément au galop avec les tourbillons de l’histoire. L’absence de courage nuit à l’intelligence. L’absence d’intelligence justifie l’absence de courage.

Si certains peuvent considérer que la République et les devises qui l’ont construite prennent l’eau dans le tableau de Seth, d’autres peuvent aussi y voir pourtant de l’espoir. Les cercles provoqués par le mouvement sont de plus en plus grands et rappellent que l’influence de la France grandit quand elle avance, quand elle est déterminée comme Marianne. Pas quand elle est immobile. Au moment où l’on nous dit que sa voix est déclinante sur la scène internationale, ces cercles grandissants rappellent à la France son aura, sa façon unique d’éclairer le monde dans l’Histoire, son destin. On ne fait pas de table rase du passé comme cela. Ce tableau rappelle à la France son devoir de perturber le monde pour l’éclairer, lui interdit de sombrer, la rappelle à ses valeurs. La semeuse doit assumer de porter le trouble, d’agiter l’ordre établi, de nager à contre-courant pour élever, montrer le chemin. « N’hésitez pas à aller à contre-courant, il n’y a que les poissons morts qui le suivent « (FOG), telle pourrait être la devise de la France et de la semeuse de trouble.

Et il faut donc se remettre en mouvement, inlassablement, reprendre son balluchon. La semeuse ne doit pas fuir ses responsabilités. C’est à ce prix que l’on reste acteur de l’histoire. La jeune Marianne illustre une nouvelle génération que l’on invite à se retrousser les manches pour ne pas se perdre, pour retrouver pleinement la devise de la République et ses valeurs. Génération après génération, tout est à recommencer pour ne pas disparaître dans le trou noir du vortex spatial, ignoré par la génération précédente.

On sait qu’avancer dans l’eau n’est pas chose facile. Il peut y avoir des courants contraires. Mais on ne peut échapper aux cercles qui se propagent, tel est le destin de la France, espérons-le. Même si elle est de dos, on sent Marianne presque joyeuse, elle va de nouveau vers un ciel étoilé, un avenir nouveau, forcément grandiose. Les étoiles brillent au loin. Avancer, c’est le bon chemin et rien ne sert de se lamenter sur le passé. Rien n’est perdu même avec de l’eau jusqu’à la taille. Le ciel étoilé aspire la France continuellement vers quelque chose qui la dépasse, alors qu’elle semble se noyer.

Marianne ne doit plus faire « des ronds dans l’eau, contemplant le monde sans y participer » (Lucien Caradec) mais se remettre en mouvement pour créer un nouveau cycle « bleu blanc rouge ». Et l’eau est composée d’innombrables particules qui font que lorsque l’on bouge, lorsque la France bouge, tout bouge. La France ne doit pas se noyer mais surnager et se remettre en chemin. Il faut reprendre son balluchon, inlassablement.

Nos couleurs sont issues de l’effervescence des idées politiques du XVIII et du XIXème siècle et Seth nous invite à une nouvelle et nécessaire effervescence, à un nouveau bouillonnement.

C’est aussi un avertissement : soit sombrer dans le vortex en se lamentant sur un glorieux passé qui fige notre action, soit retrouver nos couleurs pour agir, surprendre et nous dépasser de nouveau. Le passé ne peut en aucun cas engourdir et continuer à créer une illusion anesthésiante, justifiant que l’on peut continuer à marcher dans le vide. « Le passé cesse d’être une prison dès l’instant qu’on entend les devoirs qu’il intime au bénéfice de l’avenir » (Dan Arbib).

Seth nous invite ainsi à reprendre notre balluchon, nous remettre en mouvement, à viser ce ciel étoilé devant nous, à arrêter de faire des ronds dans l’eau. Un tableau qui donne de l’espérance et nous rappelle à nos obligations. Un tableau qui nous rappelle que la participation à l’histoire se gagne et, aux hommes politiques actuels, que Marianne était aussi sur les barricades, qui ne sont jamais bien loin quand on a abdiqué et que le courage a bu la tasse. Alors en avant…

 

Philippe Rosenpick 

Avocat associé chez RK-Rosenpick & Associés, organisateur du prix du Graffiti 2016/17, promoteur de la fresque dessinée par Crey 132 en l’honneur du Bleuet France sur la place des Invalides, Chevalier de la Légion d’honneur.