Géopolitiques
23H48 - vendredi 2 novembre 2018

Nouvelle-Calédonie, en cas de divorce, les gagnants sont ailleurs ! La chronique d’Aymeric Chauprade

 

Dimanche, les quelques 280 000 Néo-Calédoniens sauront s’ils restent Français ou s’ils vont former un Etat nouvel indépendant. Quel intérêt la France a-t-elle à conserver ce territoire éloigné de près de 17 000 km2 de sa métropole ? Inversement, quels avantages la Nouvelle-Calédonie retire-t-elle de son appartenance à l’ensemble français ?

Posons-nous cette question simple : dans trente ans, quel serait l’unique facteur géopolitique qui pourrait avoir contribué à freiner la descente inexorable de la France dans le classement des puissances mondiales ? La démographie, l’espace terrestre, la puissance militaire, la puissance industrielle, le niveau d’éducation, le degré de cohésion de la société… ? Certainement pas ! Le siège au Conseil de sécurité de l’ONU ? Pour un petit moment encore, mais sans doute plus pour très longtemps, car le monde a changé depuis 1945. La puissance nucléaire alors ? Mais on parle de la partager avec les Allemands et peut-être au-delà. Mais alors quoi ? Réponse : notre espace maritime. Car si dans trente ans, la volonté politique ne s’est pas affaissée complètement, notre pays disposera toujours du deuxième espace maritime mondial soit 11 millions de km2.

 

L’or bleu calédonien

Le premier intérêt de la Nouvelle-Calédonie pour la France, c’est l’or bleu. Avec 14 222 543 km2 soit 13% de la Zone économique exclusive française, l’ensemble néo-calédonien d’îles et d’archipels offre à la France la deuxième plus importante de ses ZEE, après celle de Polynésie française. Elle lui donne aussi, sans doute, les plus beaux lagons du monde, inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante, qui assurera la sécurité de cet or bleu, fort de ses richesses halieutiques, d’une biodiversité exceptionnelle, et de richesses minérales sous-marines ? Aujourd’hui la marine chinoise n’hésite plus à « pousser » jusque dans le Pacifique Sud, et l’exemple de la mer de Chine méridionale démontre que pour Pékin « qui va à la chasse perd sa place ». Les Australiens (seulement à 1400 km de l’archipel) comptent aussi dans la région. Abandonneraient-ils à son sort un « petit pays » peuplé de seulement 280 000 habitants mais doté d’un territoire aussi étendu ? Tant pour la protection de leurs richesses maritimes que pour la sécurité civile, les Néo-Calédoniens ont toujours pu compter sur la Force navale de Nouvelle-Calédonie, laquelle compte tout de même une frégate de classe Floréal, un bâtiment multi-missions et des patrouilleurs, sans compter bien sûr les éléments importants des armées de terre et de l’air.

 

L’or vert calédonien

En plus de l’or bleu, la Nouvelle-Calédonie, c’est le nickel, l’or vert. Le Caillou représente, à lui seul, 30% des réserves mondiales de nickel et près de 10% de l’extraction du minerai dans le monde. Penchons-nous alors sur une autre géopolitique montante, en plus de celle des océans, la géopolitique des métaux rares. Au rythme actuel de leur production, les réserves rentables d’une quinzaine de métaux seront épuisées dans moins de cinquante ans, et le nickel figure dans cette liste ! Le pétrole perd du terrain au profit des énergies renouvelables (éoliennes, panneaux solaires, batteries électriques pour les voitures) et l’économie digitale s’affirme ; les deux phénomènes conjugués augmentent de manière vertigineuse le besoin en métaux rares, ce malgré d’impressionnants progrès dans le domaine du recyclage. La Chine installe tranquillement sa domination dans la géopolitique des métaux et partout les nationalismes miniers s’affirment, en Amérique andine avec le lithium et le cuivre, au Brésil avec la bauxite et le fer, en Inde avec le titane, l’acier et le fer, en Afrique avec la bauxite, le chrome, le manganèse, le platine…

Directement ou indirectement, 25% des salariés en Nouvelle-Calédonie travaillent pour l’extraction du nickel et ses industries dérivées. Ce métal a fait la pluie et le beau temps en Nouvelle-Calédonie. Il est à l’origine du fantasme indépendandiste selon lequel une sorte « d’émirat du nickel » rentier, à l’instar d’une monarchie pétrolière, pourrait bien se passer des Français. Mais quand son cours s’est envolé, dans les années 2000, la croissance sur le Caillou a été si forte (3,6% entre 1998, date des accords de Nouméa, et 2011) que tout le monde en a profité (plein emploi, programmes de formation, construction d’infrastructures, rééquilibrage du Sud urbain plus riche et non-indépendantiste vers le Nord de la Grande Terre, bastion de l’indépendantisme kanak) au point que le FLNKS a finalement su trouver des convergences avec la droite pro-française et majoritaire.

A 50 000$ la tonne en 2007, les coûts de production élevés de la Nouvelle-Calédonie, du Canada, de l’Australie, du Japon importaient beaucoup moins qu’à 12 000$ aujourd’hui. En 2000, les Néo-Calédoniens jouissaient d’une chance double, ils étaient Français donc protégés socialement de l’exploitation, et ils vendaient massivement leur production sur le marché mondial. Aujourd’hui, ils sont toujours protégés socialement mais ne peuvent être compétitifs face aux producteurs de nickel à bas coûts comme la Chine, l’Indonésie, le Brésil, Madagascar et les Philippines, qui pèsent 80% du marché. On ne peut pas tout avoir : être arrivés au standards sociaux des grands pays de l’OCDE, et vouloir rester aussi compétitifs que les Chinois dans l’industrie minière ! L’indépendance permettrait peut-être aux Néo-Calédoniens de redevenir compétitifs avec un cours du nickel haut, mais à quel prix social ? C’est bien la France qui a contraint, en 1998, l’opérateur historique du nickel calédonien, la SLN (Société le Nickel, filiale d’Eramet) à céder aux indépendantistes du Nord de la Grande Terre, le gisement de Koniambo. L’Etat français n’a eu de cesse, en effet, de rééquilibrer le partage des richesses dans l’île et de s’assurer que la présence des multinationales des matières premières ne renforcerait pas les inégalités sociales. Le contribuable français a été le garant de ces transferts sociaux vers le Territoire, et au-delà le contribuable européen car l’Union européenne aussi participe aux politiques de rééquilibrages ethniques et territoriaux mises en place depuis la fin des années 1980.

Sur le plan géopolitique, le choix des Néo-Calédoniens est donc relativement simple : peser demain en Asie-Pacifique avec la sécurité (espace maritime et richesses minières) que procure la souveraineté d’une puissance mondiale, notamment face à l’expansion chinoise, ou bien tenter l’aventure d’une indépendance exposée fortement, comme pour les autres micro-Etats du Pacifique, aux appétits des grands compétiteurs du Pacifique, Chine, Australie, Nouvelle-Zélande et bien sûr toujours, Etats-Unis d’Amérique !

 

Aymeric Chauprade est géopolitologue et député européen. Il a notamment publié « Chroniques du choc des civilisations », un atlas du monde multipolaire.