Géopolitiques
15H22 - lundi 17 juin 2019

Salon aéronautique du Bourget 2019 : au moins trois sujets essentiels pour la France

 

Le président Emmanuel Macron, en compagnie de la ministre des Armées Florence Parly et du patron de Dassault Aviation Eric Trappier, au salon du Bourget le 17 juin 2019 . POOL/AFP / BENOIT TESSIER

 

Alors que commence l’édition 2019 du salon aéronautique du Bourget avec la traditionnelle visite du chef de l’Etat, soulignons trois priorités qui, en matière de défense, sont autant indispensables au maintien de la position française dans l’industrie de défense qu’elles conditionnent l’édification d’une future Europe-puissance : le démonstrateur du SCAF, l’exportation, l’espace.

D’abord, le SCAF (Système de combat aérien du futur) ne doit plus « traîner » mais, au contraire, déboucher rapidement sur le lancement de démonstrateurs. Pour cela, encore faudrait-il une volonté politique réelle : or, en Allemagne, le paysage politique n’est guère favorable au volontarisme. La coalition allemande est mal en point. Quel est son degré de sincérité dans sa volonté affichée de coopérer avec la France ? Paris devrait le savoir, car, au Bundestag, les députés traînent à voter les budgets et enlisent les projets franco-allemands. « L’avion du futur » (SCAF) et le « char de combat du futur » (MGS, Mounted Gun System) doivent normalement avancer en parallèle. En exigeant d’inclure Rheinmetalldans l’équation KNDS/MGS (KNDS signifie Krauss-Maffei Nexter Defense System, groupe créé en 2015 à partir de la fusion du français Nexter avec l’armurier allemand KMW- Krauss-Maffei Wegmann), le gouvernement allemand, soutenu par le Bundestag, provoque le retard du MGS et donc celui du SCAF : c’est très précisément ce que M. Stéphane Mayer, le Pdg de Nexter, a dit à l’Assemblée Nationale le 15 mai dernier et ce que les députés du Bundestag ont illustré en votant avec retard, et sous condition, le petit budget de 32,5 millions € pour le SCAF.

Berlin va donc devoir se montrer à la fois plus clair sur ses intentions et plus rapide dans ses décisions, faute de quoi les programmes resteront au stade de projets. Enfin, fort de son expérience, Paris est légitime pour faire admettre sa conception de la conduite d’un programme d’armement : un maître-d’œuvre qui est un systémier-intégrateur expérimenté (Dassault-Aviation en l’occurrence), des équipementiers choisis pour leurs compétences, une volonté politique pour sanctuariser les budgets décidés et un marché export sans contrainte.

L’exportation est justement devenue, à cause de la guerre au Yémen et des conséquences graves sur les populations civiles, le sujet numéro un, de part et d’autre du Rhin. En France, la ministredes armées Florence Parly a défendu, au nom de la realpolitik et avec raisonles ventes d’armes à la française, c’est-à-dire des ventes qui consolident ou créent, selon les cas, la diplomatie mondiale de la France (Inde, Brésil, Argentine, Australie, Emirats arabes unis, Qatar, Belgique, etc.). En Allemagne, en revanche, le débat est à la fois hypocrite (car les sociétés allemandes continuent à vendre aux « pays interdits » par le biais de leurs filiales étrangères) et stérile (les décisions sont repoussées de mois en mois). Paris et Berlin auraient dû accorder leurs violons sur l’export avant de débuter les discussions sur leurs projets aérien et terrestre. Le danger est bien l’inertie allemande des prochains mois ; mais il est aussi celui d’une possible harmonisation européenne sur la position allemande (tant l’influence française dans l’Union européenne s’est amoindrie), et ceci au nom de la « sacro-sainte » Europe de la Défense (laquelle n’existe pas).  La vérité est que cette « moralisation » très hypocrite des exportations amènera, in fine, au dépérissement de la base industrielle et technologique des pays européens et ceci pour le plus grand bénéfice des Etats-Unis à court terme et de la Chine à plus long terme.

La France doit donc continuer à assumer sa conception de l’exportation d’armement au niveau européen et, à défaut d’être entendue par Berlin, en tirer les conséquences qui s’imposent, jusqu’à agir unilatéralement sur ce sujet s’il le faut.

L’espace enfin doit être de nouveau mis à l’honneur, car il est présent partout dans les opérations militaires françaises. D’abord, sur le plan de la doctrine, l’heure est à l’offensive, du moins à la légitime défense. Il est vain de considérer que l’espace puisse échapper à l’ « arsenalisation » qui est le trait dominant de ce siècle : des fonds sous-marins à l’espace, rien n’échappe à la course aux armements. Et se priver d’outils serait suicidaire. Il faut donc non seulement préciser clairement notre doctrine au monde, mais aussi organiser le commandement et les moyens en fonction.

Or la défense française dispose du spectre complet des capacités spatiales : l’observation de la Terre, l’écoute électromagnétique, les télécommunications, les systèmes de positionnement et la surveillance de l’espace. Depuis 2018, la France renouvelle quasiment toutes ses capacités spatiales. Les huit satellites souverains seront remplacés par huit nouveaux satellites souverains dans les prochaines années, ce qui lui permet d’observer de jour dans le visible, et de nuit dans l’infrarouge avec un accès à l’imagerie radar grâce à des échanges européens. Ces capacités sont renforcées par l’actuelle loi de programmation militaire (LPM).

C’est pourquoi la crise qui frappe certains acteurs de cet espace de confrontation est très inquiétante. Il est temps de se poser par exemple la question d’une fusion entre Airbus Space et Thales Alenia Space dont la rivalité à l’exportation nuit totalement à la préservation des capacités françaises. Il faut également consolider Ariane 6. Deux raisons souveraines l’imposent : les mêmes bureaux d’étude et les mêmes usines conçoivent et produisent lanceurs et missiles balistiques de la force de frappe ; maîtriser lanceur et satellite permet d’éviter qu’une puissance tierce ne vienne, d’une manière ou d’une autre, restreindre les capacités du satellite.

L’indépendance européenne ne se fera jamais sur la destruction de l’autonomie industrielle française. Ce serait une erreur tragique que de le croire. Certains pensent en effet devoir abattre des « forteresses souverainistes » pour construire, au forceps, l’Europe industrielle de la défense. Ils ne construiront rien comme cela, et ne feront que détruire un peu plus les capacités d’indépendance stratégique de l’Europe. Nos dirigeants doivent le comprendre. C’est en assurant nos domaines de souveraineté industrielle, et la défense en est ce cœur qui bat encore bien fort (comme va le montrer de manière éclatante l’édition 2019 du Bourget !), qu’ils donnent à l’Europe la chance de devenir un jour une Europe puissance.

 

Aymeric Chauprade

Député européen jusqu’à 2019, géopolitologue et consultant international, il dirige le cabinet de conseil international Lee&Yoon GmbH.