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06H30 - jeudi 8 mars 2018

Roumanie : nouvelles révélations de trafic d’influence au sein du service chargé d’éradiquer la corruption.

 

altOpinion Internationale s’était déjà penché sur les soupçons de collusions au sein de l’agence nationale de lutte contre la corruption. Rappelons que cette agence avait été initialement créée pour lutter contre ce phénomène touchant gravement l’Etat et ses institutions, au point de gangréner des pans entiers de la société roumaine. Les autorités chantaient en cœur que la lutte contre la corruption était une priorité absolue et que cette fois, elle allait être combattue sans ménagement ni complaisance.

Mais très rapidement apparurent les premières distorsions entre le discours et les actes. Pis, l’anti-corrupteur désigné au sein du Parquet, en la forme de « l’agence » DNA, fut lui-même soupçonné de corruption, du moins de collusions plus que douteuses avec les services secrets roumains (SRI) qui s’en seraient assurés la mainmise et le contrôle.

Une telle subordination, si elle se révélait vraie, réduirait à néant les prétendus efforts du gouvernement pour vaincre la corruption et laisserait planer un doute sérieux sur ses véritables intentions. Les suppositions sont vite devenues intime conviction, au point que les leaders politiques roumains rechignent à critiquer les méthodes du DNA par peur de représailles, situation indigne d’une démocratie membre du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

Bien que les dérives des autorités roumaines ne puissent plus laisser de marbre les institutions européennes, en particulier la Cour européenne des Droits de l’Homme (voir notre article consacré demain aux prisons et à la justice pénale), force est de déplorer qu’elles perdurent et parfois s’aggravent : le 11 février 2018, une enquête aux révélations explosives a été rendue publique. Des journalistes d’investigation d’Antena3 et RomaniaTV ont filmé, en caméra cachée, les pratiques douteuses de deux procureurs du parquet anticorruption (la fameuse agence DNA). Ils ont montré que les deux officiels avaient falsifié des documents, placé de fausses preuves chez des individus afin de pouvoir les accuser ultérieurement, et modifié des déclarations de témoins.

Les pratiques ainsi mises en lumière sont dignes de la police politique de l’ère soviétique ou de la Securitate de Ceausescu, situation fort embarrassante pour un État membre de l’Union européenne. Sur le plan intérieur, ces révélations bousculent les procédures pénales en cours et fragilisent significativement la position de l’accusation, remettant même gravement en cause la crédibilité et l’équité de l’institution judiciaire roumaine, voire son fondement démocratique.

Pour ceux qui ont été mis en cause par le DNA dans le cadre d’affaires où leur sont reprochés des faits de corruption, ces révélations sont une aubaine et une chance, car il serait impensable que des accusations puissent être poursuivies sur la base de preuves falsifiées ou fabriquées par une autorité publique en charge de lutter contre la corruption.

Il sera désormais difficile de ne pas entendre la complainte de ceux qui clament farouchement leur innocence depuis des années, en particulier des politiciens, comme l’ancien Premier ministre Victor Ponta ou l’ancien député Sebastian Ghita, dont l’enquête sortie le 11 février montre que les dossiers ont été truqués.

Le monde des affaires est également impacté : de nombreuses personnalités, comme Alexander Adamescu ou Gabriel Popoviciu, tous deux forcés de quitter leur pays, clament aussi leur innocence et s’estiment victimes de cabales politico-judiciaires. Il y a fort à parier que ces révélations auront un impact sur l’issue des procédures engagées à leur encontre, sans quoi on pourrait se demander si la Roumanie ne s’éloigne pas de l’État de droit. La Cour européenne des Droits de l’Homme n’a-t-elle pas déjà dénoncé son système carcéral et de l’organisation de sa justice pénale ?

Bataille dans l’opinion roumaine

Fabriquer des preuves pour confondre des opposants, des adversaires, des gêneurs, contrevient évidemment grossièrement aux dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, garantissant un procès équitable à tous les citoyens des États signataires. Mais à ce degré de tartuferie, les autorités roumaines voient leur crédibilité sérieusement affectée aux yeux de leurs concitoyens, au-delà de toute considération juridique.

Le 22 février 2018, le ministre de la Justice, Tudorel Toader, a appelé à la démission de la Procureure générale Laura Codruta Kövesi, prétextant son « excès d’autorité ». Mais quelques jours plus tard, il fut désavoué par le Président roumain Klaus Iohannis, au motif qu’il s’agirait là d’une tentative infondée de discréditer non seulement la magistrate, mais aussi le DNA et, avec lui, tous les efforts des autorités pour lutter contre la corruption.

Malgré les révélations fracassantes des journalistes précités, la bataille de l’opinion bat son plein, la décision du président de conforter le DNA et sa cheffe ayant suscité des manifestations de soutien et une pétition pour demander le départ du ministre de la Justice. Sur la scène politique, le Parti Social Démocrate (PSD), première force de l’actuelle coalition au pouvoir, confirme la pertinence des motifs ayant conduit à la demande de révocation de la magistrate, ce que conteste bien évidemment l’opposition de droite.

Ces joutes politico-médiatiques, ces luttes d’influence, ne sauraient néanmoins masquer les graves lacunes du système judiciaire roumain. Si la lutte contre la corruption est une nécessité, elle ne peut s’appuyer sur les méthodes qu’elle dénonce et sur la violation des droits les plus élémentaires de la défense, la fin, si légitime soit-elle, ne justifiant pas tous les moyens. Cela s’appelle l’Etat de droit.

En outre, l’Union européenne a clairement manifesté son inquiétude devant les réformes judiciaires engagées par les sociaux-démocrates au pouvoir en Roumanie, d’abord le 24 janvier 2018, par une déclaration du président de la Commission européenne Jean-Claude Junker, puis par des députés du Parlement européen, au point que la Roumanie pourrait être considérée comme portant atteinte à l’État de droit. Le président Juncker et Frans Timmermans, premier vice-président en charge des questions institutionnelles, se sont dit préoccupés par la réforme du système judiciaire roumain voté en décembre dernier. Pour la Commission, ce texte compromettrait « l’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption dans le pays ».

Roman Popescu

La suite demain

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