Edito
10H40 - mardi 13 mai 2014

Trop universelle torture… L’édito de Michel Taube

 

Dans la lutte contre la torture dans le monde, c’est un double front qu’Amnesty International ouvre aujourd’hui dans une bataille que l’organisation compte mener pendant deux ans : le front des Etats qui abusent de la torture mais aussi celui de l’opinion publique qui – parfois – doute de l’universalité de ce combat. 

AMNESTY_INTERNATIONAL/STOP TORTURE/ Genevieve GARRIGOS (drte) présidente d'Amnesty International, Robert KING(ctre), ancien Black Panthers detenu a l'isolement durant 29 ans, Laurent GAUDE(gche), ecrivain prix Goncourt, soutenant la campagne "Stop Torture" - Paris 12/05/2014

Genevieve Garrigos, présidente de la section française d’Amnesty International, Robert King (centre), détenu à l’isolement durant 29 ans aux Etats-Unis, Laurent Gaudé, écrivain et prix Goncourt, soutiennent la campagne « Stop Torture » – Paris 12/05/2014 © Alain Elorza

Il y a trente ans, les Nations Unies adoptaient une convention internationale contre la torture, héritée des lendemains de la deuxième guerre mondiale et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui en avait affirmé pour la première fois un universel rejet de principe. Sept ans plus tard, c’est pour son combat exemplaire contre la torture qu’Amnesty International avait reçu en 1977 le Prix Nobel de la paix.

L’organisation ravive aujourd’hui sa propre ADN. Car trente ans plus tard, en 2014, cette plaie des nations continue à envenimer la vie des citoyens partout dans le monde. Certes, si l’on en juge par les engagements formels pris par les Etats, des progrès notoires ont été enregistrés depuis 30 ans : 155 Etats ont ratifié cette convention internationale. Mais qu’en est-il dans la pratique ? Depuis l’entrée dans l’ère du « tout-terrorisme », la torture est de retour, parfois revendiquée et assumée. 79 de ces 155 Etats pourtant engagés juridiquement ont eu recours à la torture ces cinq dernières années. Ils sont 141 Etats dans le monde au total à torturer. 

Il fallait donc tirer la sonnette d’alarme et c’est certainement pourquoi Amnesty International a jugé bon de mobiliser une fois de plus tous ses moyens pour lancer une campagne mondiale.

Sur le front des Etats, l’organisation a décidé de cibler cinq Etats qui pourraient bouger ou influer sur leurs voisins : le Mexique, les Philippines, le Nigéria, l’Ouzbékistan, le Maroc et le Sahara occidental.

Faiblesses de l’opinion

Mais c’est le front de l’opinion qui retiendra ici notre attention – nous reviendrons évidemment à plusieurs reprises sur l’ensemble de cette campagne : Amnesty sort un sondage réalisé dans 21 pays auprès de 21.000 personnes. Qu’y apprend-on ? Partout dans le monde, même dans les démocraties les plus scrupuleuses en matière de libertés publiques, 44 % des personnes interrogées se sentiraient menacées de traitements dégradants si elles devaient être arrêtées par leurs autorités nationales. Si vous allez assister à la Coupe du monde de football au Brésil, évitez de vous faire interpeller car le Brésil, triste record, est celui des 21 pays interrogés où 80 % des sondés se disent persuadés qu’il courraient un risque en cas d’arrestation.

Mais, ambivalence mystérieuse des personnes face à la torture, (trop) nombreuses sont celles qui trouvent légitime le recours à la torture dans certaines circonstances… Elles sont plus d’un tiers à penser que la torture est légitime, notamment pour arracher des aveux à un criminel qui menacerait la société. Les partisans de la torture dans certains cas montent à 74 % en Chine et en Inde. Ils ne sont « que » 12 % en Grèce.

Ces chiffres en disent long sur le chemin pédagogique à entreprendre pour expliquer que jamais la torture n’est légitime ni efficace. Geneviève Garrigos, présidente de la section française d’Amnesty International, illustrait dans l’actualité la plus brûlante la relation étroite entre les deux fronts de ce combat : au Nigéria, l’armée a une grande responsabilité dans l’enrôlement de jeunes dans la secte Boko-Haram depuis qu’elle pratique elle-même des exactions parfois sauvages et des exécutions sommaires qui ont décridibilisé toute pertinence de l’Etat de droit. 

A bien des égards, c’est quand un Etat viole sciemment les libertés fondamentales – et ceci à répétition comme le fit l’administration Bush aux Etats-Unis – que son opinion publique finit par relâcher sa vigilance et tolérer l’inacceptable. Surtout pour des tortures commises sur les autres…

 

Pour aller plus loin 

Robert King, portraité par Alain Elorza

La campagne mondiale d’Amnesty STOP TORTURE : www.amnesty.fr et www.amnesty.org

Un dossier publié par Opinion Internationale en novembre dernier avec le Centre Primo Levi : « Revivre après la torture » 

 

Directeur de la publication

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