International
09H28 - mardi 18 février 2014

« Il faudra du temps pour sortir d’un système dominé par l’armée »

 

Entretien avec Agnès Levallois, consultante et professeure à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et à l’ENA, qui analyse le contexte politique d’une Égypte qui vient d’adopter une nouvelle Constitution et se prépare à de nouvelles échéances électorales, suite à la prise de pouvoir par l’armée en juillet dernier.

 

Agnès Levallois

Agnès Levallois

Vous revenez d’Égypte, peu après le vote d’une nouvelle Constitution égyptienne. Comment avez-vous trouvé Le Caire ?

Le Caire n’a pas changé : les rues sont toujours pleines de monde et les bouchons légendaires. La mobilisation a fortement diminué : la place Tahrir ne connaît plus les sit-in qui ont duré des mois et des mois. La contestation s’est déplacée dans des quartiers périphériques, en raison de la réaction musclée des autorités contre le manifestants.

 

L’histoire est encore en train de s’écrire mais peut-on dire que la page des Frères musulmans est définitivement tournée ?

Le pouvoir en place veut clairement écarter les Frères musulmans du jeu politique. Le nouveau régime avait besoin de s’affirmer contre cette force mais il est encore trop tôt pour dire si cette mise à l’écart s’inscrira dans une longue durée. Lorsqu’un nouveau gouvernement sera mis en place, après l’élection du prochain président de la République, et la tenue d’élections législatives, alors on verra si cette politique s’atténue ou si les Frères musulmans sont rayés définitivement de la carte politique. Pour le moment, deux camps s’affrontent durement mais je ne crois pas que l’Égypte puisse construire son avenir et trouver une stabilité sur un tel affrontement permanent.

 

Ce sont deux modèles qui s’affrontent…

Le gouvernement avait proposé aux Frères musulmans de participer au Comité des 50 qui a rédigé le projet de Constitution adoptée par le peuple égyptien le 15 janvier. Ils ont refusé. Les salafistes ont accepté. Il est sûr que les choses ne peuvent évoluer durablement en écrasant une force politique majeure.

 

L’Égypte ne souffre-t-elle pas d’un manque de leadership de personnalités civiles pour tenir tête tant aux Frères musulmans qu’à l’armée ?

Le système politique égyptien est dominé par l’armée depuis les années 50. Il faudra du temps pour sortir de ce schéma. L’armée est partie pour reprendre le pouvoir à travers la personne de Al-Sisi, sans parler de son pouvoir économique. Récemment, des personnalités civiles ont tenté d’émerger : Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak, ancien Secrétaire général de la Ligue arabe, il a présidé le Comité des 50 qui a rédigé la nouvelle Constitution. Il a une surface nationale, régionale et internationale. Malheureusement, il a près de 80 ans…

Certains ont misé sur Mohamed El-Baradei, ancien directeur général de l’AIEA mais il n’a manifestement pas beaucoup de relais internes dans le pays.

Le facteur temps est essentiel pour laisser aux sociétés le temps de s’approprier le politique. Par exemple, les taux de participation aux élections et autres référendums ont été relativement faibles depuis le printemps arabe car les citoyens n’avaient pas l’habitude depuis 50 ans de participer à la vie politique. Jusque là, voter ou ne pas voter ne changeait rien.

 

La France est accusée d’avoir fait le choix des Frères musulmans…

La France a avant tout fait le choix du respect des urnes. Morsi avait été lu démocratiquement et il n’y avait pas de raison qu’il n’aille pas au bout de son mandat. Dès lors que le peuple a considéré que Morsi n’avait pas respecté ses engagements et a décidé de le déposer avec l’aide de l’armée, les partenaires occidentaux ont dû tenir compte de cette nouvelle donne. Aujourd’hui, l’Egypte s’est donnée une nouvelle Constitution et prépare de nouvelles élections qui vont permettre aux relations bilatérales de reprendre un cours normal.

La France a un rôle traditionnel en Égypte. Elle peut peser aussi sur l’Europe, le deuxième donateur après les États-Unis, pour soutenir davantage l’Égypte, qui dépend beaucoup des financements des pays du Golfe.

 

Sommaire :

 

Mardi 11 février : L’Égypte déchirée entre liberté et terrorisme et Une certaine idée de l’Égypte

Mercredi 12 février : Une démocratie armée

Jeudi 13 février : L’Islam contre les islamistes

Vendredi 14 février : Les « crimes » des Frères musulmans

Lundi 17 février : La France et l’Égypte : une passion réciproque

Mardi 18 février : « Il faudra du temps pour sortir d’un système dominé par l’armée ». Entretien avec Agnès Levallois, spécialiste du Moyen-Orient

Jeudi 20 février : « L’Egypte ne peut se comprendre sans prendre la mesure du rôle qu’y joue l’armée ». Entretien avec Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)

Propos recueillis par

Directeur de la publication

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