Opinion Business
18H00 - lundi 3 mars 2025

Simplifier : un nouvel eldorado à double tranchant pour l’Union européenne. La chronique de François Perret

 

« Élaguer l’arbre normatif ». C’est l’objectif (terriblement ambitieux au vu de l’épaisse forêt de textes en vigueur) que s’est fixé la nouvelle ministre déléguée chargée du Commerce, de l’Artisanat et des PME, Véronique Louwagie. Au point que la complexité administrative, accusée de pénaliser la croissance de nos entreprises, est désormais sous le feu croisé de l’Europe et de l’un de ses États membres les plus contributifs à l’inflation législative et réglementaire, la France.

Sur notre sol, le gouvernement s’attaque de nouveau à une montagne, après que sous Gabriel Attal un projet de loi de simplification de la vie économique a été déposé une première fois au Parlement, avant d’être enterré pendant plusieurs mois pour cause d’instabilité politique dans les mois qui ont suivi la dissolution de l’Assemblée nationale.

 

Maintenant que notre pays, dans la douleur, dispose d’un budget voté au forceps le 6 février dernier, plus rien ne s’oppose à la reprise de son examen parlementaire. Il faut dire qu’entre ralentissement conjoncturel (croissance de -0,1% au quatrième trimestre 2024), remontée de la pression fiscale et sociale (hausse de l’impôt sur les sociétés pour les plus grandes entreprises et réduction des allègements de charges sur les bas salaires) et perspectives de guerre commerciale avec son (désormais) encombrant allié américain, l’économie française a bien besoin de nouvelles rafraîchissantes.

Et dans un pays où le poids des normes bat tous les records avec presque 4% du PIB (contre seulement 0,17% en Allemagne et, en moyenne, pas plus que 0,8% au sein de l’UE), toute perspective d’abaissement de la charge administrative qui pèse sur les sociétés est très attendue. Attendue. Désirée certes. Mais aussi très redoutée. Car tant d’annonces de « chocs de simplification » se sont succédé depuis le quinquennat de François Hollande (2012-2017) que plus aucun entrepreneur n’est aujourd’hui prêt à faire crédit à quelque exécutif que ce soit s’agissant de sa volonté politique et surtout de sa capacité (juridique et opérationnelle) à passer à l’acte.

Toutes les entreprises ont naturellement envie de se laisser séduire par la perspective d’une suppression prochaine de 200 à 250 formulaires Cerfa (Centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs), comme l’a annoncé Véronique Louwagie ce jour dans la presse. Mais trop nombreuses sont déjà celles qui avaient entendu Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, promettre il y a tout juste un an qu’on supprimerait « tous les Cerfa d’ici 2030 ».

 

Tout le monde aimerait aussi qu’on mette en place les fameux « tests PME », également annoncés par Véronique Louwagie, afin de mieux mesurer l’impact des textes à venir sur les petites et moyennes entreprises, pour finalement veiller à une plus grande sobriété, normative, afin de soulager la pression réglementaire pesant sur les plus modestes d’entre elles. Tout le monde. Moi le premier, car je me souviens aussi qu’alors conseiller ministériel, j’ai soutenu cette démarche et assisté à des annonces du même ordre à haut niveau dans l’État dès 2014. Sans que les choses aient réellement changé depuis lors.

Mais s’il nous faut continuer à croire à la nouvelle volonté affichée par l’exécutif de permettre aux PME de mieux se concentrer sur leurs initiatives propres pour croître et innover (plutôt que de consacrer un temps précieux à remplir des formulaires), c’est parce que désormais un bon vent européen souffle aussi sur cette intention de simplifier.

Un alignement apparent des planètes, qui ne doit pas nous faire baisser la garde.

Mercredi 26 février, l’exécutif européen a bien présenté deux paquets de mesures pour simplifier plusieurs directives et règlements européens. Et à entendre le Commissaire européen chargé de la mise en œuvre de la simplification, Valdis Dombrovskis, « l’omnibus » -c’est le nom des deux paquets- ne serait qu’un début…

Un début prometteur certes, mais, à vrai dire, un peu contrariant aussi. Car si la Commission européenne fixe le bon cap (réduire d’au moins 25% les charges administratives des entreprises, et d’au moins 35% pour les PME d’ici la fin du mandat de sa présidente, Ursula von der Leyen), elle s’en prend aussi à un sujet sensible : le climat. Le tout à un moment où nos objectifs de neutralité carbone sont loin d’être atteints. Rien qu’en France, après les efforts louables menés en 2023 (avec une baisse de -6%), les émissions de CO2 ont repris leur ascension, avec un taux remonté à +0,5% au cours des six derniers mois de 2024. Pas de quoi pavoiser. Et encore moins une autorisation à relâcher la pression sur le sujet environnemental, d’autant que l’an dernier, pas moins de 26 événements climatiques ont été amplifiés par les activités humaines, d’après les experts du réseau scientifique World Weather Attribution.

 

En allégeant les obligations de reporting en matière de durabilité (CSRD), en simplifiant le devoir de vigilance (CS3D) et celles du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, il ne faudrait pas que les sociétés européennes, grandes ou plus petites, se croient dispensées des nécessaires efforts à accomplir vers la neutralité carbone.

La bataille pour la simplification ne doit pas être menée au détriment de l’enjeu climatique. L’UE le sait bien, elle qui a par ailleurs pris la décision (probablement plus raisonnable) de simplifier les règles imposées aux banques (ce qui pourrait ouvrir la voie à une remise en cause des règles de « Bâles III ») … au nom même des besoins de financement des transitions énergétique et numérique.

 

Simplifier ne veut pas dire déréguler, jurent en chœur les représentants du monde bancaire.

Simplifier ne doit pas non plus signifier reculer sur le plan des engagements climatiques.

 

François PERRET
Economiste, professeur affilié à ESCP-Business School, vice-président du think-tank Etienne Marcel, et auteur de « Non. Votre salaire n’est pas l’ennemi de l’emploi ! Vaincre l’austérité salariale, c’est possible » (éd. Dunod)