3 600 emplois supprimés rien que chez Auchan et Michelin. Les procédures collectives ouvertes par les entreprises en difficulté s’accélèrent. L’hiver n’est pas encore là que le ciel s’assombrit déjà au-dessus de l’économie française. Et tout laisse à penser qu’un retournement est en cours, qui pourrait laisser sur le carreau nombre de sociétés et de leurs collaborateurs dans l’hexagone.
Ces difficultés interviennent à un moment où de nombreuses entreprises doivent à la fois engager des mutations structurelles de grande envergure (comme dans l’automobile avec la suppression des voitures thermiques en 2035, ou encore la grande distribution) et faire face à des coûts énergétiques qui n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’avant la guerre en Ukraine.
Si, on le voit bien, quelques grandes enseignes ne sont pas épargnées, ce sont naturellement les PME qui payent le tribut le plus lourd à cette dégradation des conditions économiques. Alors qu’elles sortent déjà d’une période de forte inflation et doivent de surcroît rembourser leurs prêts garantis par l’État (PGE) souscrits lors du Covid, leur accès au crédit se tend fortement. Une baisse de la demande de crédits est observée par les grands réseaux bancaires sous l’effet à la fois de la hausse des taux et de carnets de commandes moins fournis, n’incitant pas à investir. Sans parler d’une instabilité fiscale alimentée par des débats houleux à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2025.
Mais il ne faut pas confondre ces tendances baissières immédiates avec une trajectoire de long terme qui risque d’être, pour sa part, bien plus défavorable encore. Le ministre Marc Ferracci a beau s’époumoner à prétendre qu’« on ouvre plus d’usines qu’on en ferme en 2024 en France », il est assez largement démenti par les statistiques du premier semestre durant lequel 59 fermetures ont été enregistrées contre 51 ouvertures. La réindustrialisation promise n’est pas vraiment au rendez-vous.
Il reste donc plus que jamais nécessaire de s’interroger sur les raisons structurelles qui expliquent que le redressement productif français tarde à venir.
À vrai dire, la stratégie de réindustrialisation nationale bute toujours sur les mêmes obstacles. Le fardeau fiscal reste la première cause des déboires de l’industrie française, avec une surcharge de +7 points de valeur ajoutée par rapport à l’Allemagne s’agissant des impôts de production et charges (hors impôt sur les sociétés), soit environ 20 milliards d’euros. Exactement, comme le rappelle Olivier Lluansi dans le Journal du Dimanche (10-11 novembre 2024, p. 35), l’enveloppe supplémentaire que les entreprises manufacturières de notre pays devraient consacrer à l’investissement pour se moderniser.
Autre contrainte pour l’industrie tricolore, outre les prix de l’énergie : la quantité de travail fournie par la main-d’œuvre nationale. La France travaille moins que ses principaux concurrents sur la scène européenne et internationale. Et c’est moins un problème de nombre d’heures travaillées chaque semaine qu’une problématique bien plus large, marquée par une entrée en moyenne trop tardive des jeunes sur le marché du travail et une exclusion de fait des séniors : le taux d’emploi des plus de 60 ans ne dépasse pas 35% alors qu’il est bien supérieur ailleurs, et même deux fois plus élevé en Allemagne ou encore en Suède.
Si on ajoute à cela l’extrême lenteur de notre appareil de formation à adapter les compétences aux besoins d’aujourd’hui et de demain des entreprises, tout particulièrement sur le terrain du numérique et de la transition écologique, on touche à l’essentiel des limitations de la production industrielle actuelle.
Avec un dernier caillou dans la chaussure à ne pas négliger : l’excès de réglementation. Il est vrai qu’entre la traditionnelle surtransposition française des règles européennes et l’abondance de lois européennes sur la technologie (Digital Market Act, Data Act, Governments Act, Digital Services Act, IA Act…), les entreprises de l’hexagone et notamment celles à l’origine d’une très forte valeur ajoutée grâce à la technologie (BioTech, MedTech, CleanTech, FinTech, XTech…) sont sérieusement handicapées en termes de compétitivité sur les marchés mondiaux.
Sortir de cet engrenage fatal à notre développement industriel de moyen terme justifie un examen de conscience plein et entier.
Pour ce faire, quatre dogmes doivent tomber une fois pour toutes.
Le premier, c’est celui d’un rééquilibrage budgétaire qui passerait par la mise à contribution exagérée des entreprises. Ce n’est plus compatible avec notre ambition de regagner des parts de marché : c’est au contraire à la dépense publique et à elle seule qu’il faut massivement s’attaquer.
Second dogme à jeter au panier, celui de la réduction du temps de travail. C’est, au contraire, en augmentant la quantité de travail – et en permettant aux actifs de travailler plus tôt et plus longtemps – que la France peut espérer sortir de l’impasse.
Troisième dogme directement lié à notre culture administrative fondée sur la régulation et le contrôle plutôt que sur un regard stratège : celui de la norme toute puissante. L’Europe et la France produisent trop de règles et notre pays fabrique de la complexité, qui réduit à néant l’effort de nos sociétés pour investir et innover.
Dernier dogme enfin : celui de la résignation européenne. Bruxelles et les « 27 » membres de l’Union européenne ont trop longtemps refusé d’admettre que pour faire triompher leurs valeurs et principes d’organisation (modèle social, exigences environnementales et éthiques…), il faudrait en passer par un nouveau dialogue plus âpre avec les Américains, les Chinois et de plus en plus avec les Indiens, qui imposent aujourd’hui une concurrence déloyale à nos entreprises, tout sauf acceptable.
À deux mois du retour aux responsabilités de Donald Trump aux États-Unis, les décideurs communautaires ne doivent plus attendre pour contrer un protectionnisme nord-américain qui va encore s’intensifier.