Opinion Paris 2024
23H55 - samedi 11 mai 2024

Un geste pour l’histoire (épisode 1) – Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #18 de Frédéric Brindelle

 
Le sport devient un acteur de plus en plus majeur du jeu diplomatique mondial.

Les pays du Golfe, par exemple, en font le socle de leur puissance et de leur avenir. Quand les ressources naturelles qui jaillissent de leur sol se tariront, ces pays conserveront une partie de leur influence grâce aux clubs, aux infrastructures, aux évènements qu’ils détiennent.

Tout d’abord, la motivation principale de ces nations qui s’engagent sur la scène sportive tient au gigantesque marché que le sport représente. Les pays les plus puissants de la planète possèdent presque systématiquement une renommée sportive. Il en va de leur crédibilité. Les stars du football, du tennis, des disciplines américaines, concurrencent les légendes du cinéma et les patrons des multinationales dans le classement des salaires les plus élevés. Les évènements majeurs drainent des investissements colossaux. Les tenues, le matériel, l’image des athlètes conditionnent d’immenses revenus de merchandising et de marketing.

L’autre motivation pour ces nations, provient de la caisse de résonance de l’acte sportif. Une victoire d’un compatriote procure une émotion telle, que tout le pays en profite pour renforcer son aura. Dans certains cas son gouvernement, ses diplomates, ses entreprises, saisissent l’occasion pour transmettre des messages qui modifieront le rapport de force avec leurs interlocuteurs.

L’évènement le plus stratégique pour sublimer sa diplomatie demeure les Jeux Olympiques d’été. Les pays s’en accommodent plus ou moins bien, car ce sont leurs sportifs qui possèdent le pouvoir ultime. Ils portent toutes ces actions symboliques, qui peuvent servir ou desservir leur nation. L’histoire de l’olympisme regorge de ces gestes légendaires qui marquent à jamais l’humanité.

A quelques semaines de Paris 2024, dans un contexte international tendu, les concurrents reçoivent sans doute quelques conseils de leurs gouvernements pour anticiper des situations périlleuses. La posture de nos athlètes déclenchera inévitablement des interprétations plurielles qu’il conviendra d’analyser.

 

De Montréal 1976 à Barcelone 1992

Depuis 3 ans, le monde se décadenasse. Le mur de Berlin, le rideau de fer, les dictatures, les frontières au sein de l’Union Européenne disparaissent. L’Afrique du Sud guérit de son cancer, l’apartheid, un régime ségrégationniste qui parque les noirs et leur leader naturel Nelson Mandela, dans les geôles de la précarité. Porté par un magnifique souffle pacifiste, le monde envisage la cohabitation des êtres humains quelle que soit leur couleur. L’Olympisme lui offre alors un symbole inoubliable. En athlétisme, l’éthiopienne Derartu Tulu s’impose lors de la finale du 10 000 mètres. Elle devance Elena Meyer, une athlète blanche sud-africaine, dont la nation vient donc de réintégrer les Jeux olympiques. Une fois la ligne d’arrivée franchie, les deux femmes effectuent un tour d’honneur main dans la main, enroulées dans leurs drapeaux respectif. Une blanche sud Africaine qui embrasse sa rivale noire, championne Olympique. L’image émeut la planète entière, et écrit l’oraison funèbre de l’apartheid.

16 ans plus tôt, Montréal déplorait l’absence des pays africains lors de ses Jeux d’été. Ces derniers fustigeaient la participation de la Nouvelle-Zélande, pays du monde occidental qui maintenait des rencontres de rugby avec l’Afrique du Sud ségrégationniste, exclue par le CIO… Le monde pouvait changer.

Les deux athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos décrochent respectivement l’or et le bronze du 200 mètres à Mexico, en 1968. Au centre du stade, à la vue de millions de personnes, les deux hommes montent sur le podium pour la traditionnelle cérémonie de remise des médailles. Ils ne portent pas de chaussures, simplement des chaussettes noires. L’hymne américain retentit, ils baissent la tête et dressent vers le ciel leur poing fermé et ganté de noir, en signe de protestation contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Ce poing levé leur a valu d’être exclus à vie des Jeux olympiques. Pourtant le message délivré véhicule des valeurs que le CIO défend : l’égalité des races.

Cependant, la Charte olympique dispose : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». La ligne de crête entre l’interdit et le toléré provoque d’ailleurs des dilemmes permanents.

La commission exécutive du CIO statue sur le bien-fondé des actions initiées par les sportifs. Son président, l’Allemand Thomas Bach, joue inévitablement un rôle influent sur la scène géopolitique internationale. Son pouvoir diplomatique ne souffre aucune contestation.
Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »