Opinion Paris 2024
11H24 - lundi 13 mai 2024

Un geste pour l’histoire (épisode 3) : vive les femmes aux JO ! – Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #18 de Frédéric Brindelle

 

L’attribution des Jeux olympiques n’a que très rarement fait l’unanimité. Des conflits ouverts ou latents existent partout sur la planète, chaque Etat a tendance à voir dans son voisin un rival, les religions se télescopent et la tolérance n’est pas la vertu la mieux partagée… Tout pays organisateur trouve finalement des contradicteurs.

La nouvelle deuxième puissance économique mondiale, la Chine, jouit d’une influence telle que, depuis plusieurs décennies, rien ne semble pouvoir lui échapper. Notamment l’organisation de l’édition 2008 des Jeux olympiques, dont la réussite assoira encore un peu plus son rang de rival des Etats-Unis pour le leadership mondial.

A Pékin, après une cérémonie d’ouverture magnifique, les compétitions débutent malgré l’indignation des opposants à la Chine. Szymon Kolecki, haltérophile polonais, se présente le crâne rasé face à la barre lestée de nombreux kilos. Ses supporters peinent à le reconnaître. Il vient de trouver une astucieuse parade pour contourner la Charte olympique et témoigner de sa solidarité avec les moines tibétains pourchassés par la Chine. « Cette coupe date de ce matin, je ne peux pas dire pourquoi j’ai fait ça. C’est lié à certaines choses que la Charte olympique interdit. Mais je vais dire que c’est symbolique » déclare le pertinent athlète polonais.

Les Taïwanais saisiront-ils l’occasion de Paris 2024 pour attirer l’attention sur les menaces d’envahissement par la Chine dont ils sont l’objet ? Ce pays, non reconnu par l’ONU, peut toutefois présenter une délégation aux Jeux olympiques, ce qui demeure un geste de soutien considérable pour cet allié des Etats-Unis. Pourtant, ses athlètes souffrent d’un sentiment d’humiliation lors de chaque olympiade car ils ne peuvent ni brandir leur drapeau ni écouter leur hymne national en cas de victoire. Ils appartiennent officiellement à une délégation dénommée « Chine Taipei » du nom de la capitale de Taïwan. Dans ce cas, le CIO réalise un numéro d’équilibriste diplomatique qui ne séduit personne mais alerte l’ONU sur l’enjeu de ce conflit.

Comment réagira un athlète arménien s’il affronte un adversaire azerbaïdjanais dans le Grand Palais éphémère de Paris, en juillet prochain ? Les deux pays du Caucase se livrent une guerre qui s’était pourtant terminée en 2020. La région du Haut-Karabakh reste toutefois au cœur des tensions, les combats ont repris au cours du mois de septembre dernier. Chacun devra veiller au respect de l’éthique.

Le sport favorise quelques fois les rapprochements

En 2013, alors que le CIO envisage de supprimer la lutte du programme des JO de 2020, les athlètes américains et iraniens s’unissent pour sauver leur discipline. En conflit politiquement, les deux pays fraternisent autour d’un sport qui a fréquemment servi de scène aux deux adversaires, pour affirmer leur puissance dans ce rapport de force.

L’image interpelle et séduit. Des lutteurs américains et iraniens se tiennent par la main à côté d’une banderole sur laquelle on peut lire : « Les Jeux olympiques sans la lutte, jamais ! »

La séquence se passe lors de la Coupe du monde de lutte libre à Téhéran, la capitale iranienne. Le directeur exécutif de la lutte américaine déclare : « Nous avons besoin du soutien de l’Iran (…) pour conserver la lutte (aux JO) et cela va au-delà de la politique ».  Les Etats-Unis, l’Iran, la Russie et la Turquie caracolent en tête du classement des médailles dans ce sport qui, grâce au geste conjoint américano-iranien, continuera de passionner les foules, l’été prochain dans l’Aréna du Champ-de-Mars. 

Dans ce cas, le CIO accompagne le sens de l’histoire et saisit le moindre geste de paix pour valoriser l’olympisme. En revanche, il sanctionne sans équivoque les gestes ostentatoires qui alimentent les tensions internationales lors de ses évènements. La Charte olympique tranche : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

L’arbitrage de l’institution olympique devient plus nuancé lorsqu’il s’agit d’une cause universelle, comme le racisme (voir épisode précédent), l’homophobie ou encore le droit des femmes. 

Le boxeur français d’origine iranienne, Mahyar Monshipour a récemment participé à l’envoi d’une lettre par un collectif qu’il a rejoint. Son destinataire ? Le Comité International Olympique, afin de lui demander l’exclusion de l’Iran de Paris 2024, pour violation du principe de non-discrimination dans le sport. En effet, deux athlètes iraniennes ont dû quitter leur pays d’origine pour continuer à exercer leur passion. L’interdiction de paraître dans les stades, de pratiquer certaines disciplines, l’obligation de porter la tenue islamique, indignent les signataires.

Sur le même thème, le CIO espère toujours voir défiler à Paris, une délégation afghane qui respecte la parité hommes-femmes. Aux Jeux de Tokyo 2020, la délégation afghane comptait cinq athlètes, dont une seule femme, voilée. De retour au pouvoir, le régime des talibans a interdit aux femmes de faire du sport. De ce fait, certaines se sont exilées dans d’autres pays et pourraient quand même participer à l’évènement dans l’équipe des réfugiés.

C’était le cas de Nigara Shaheen, une judokate afghane il y a trois ans à Tokyo. Les entraîneurs de son pays natal le lui ont reproché. Sa participation, assimilable à un geste politique majeur, plaçait une nouvelle fois le sport au cœur de la diplomatie internationale.

Ce n’est qu’en 1900 que les femmes obtiennent le droit de participer aux Jeux olympiques dans des épreuves dites “compatibles”. Grâce à la Française Alice Milliat, les Jeux se féminisent : elle martelait inlassablement que le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale invalidait l’argument d’une “fragilité naturelle” avancé par leurs détracteurs. La Charte olympique ne rend obligatoire que depuis 2007 la présence des femmes dans tout les sports. 

En France, l’été prochain, au pays d’Alice, des merveilles de championnes enthousiasmeront la planète entière. Certaines voudront soutenir les plus nobles causes. Le CIO devra y porter un noble regard.

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »