Opinion Paris 2024
07H46 - jeudi 16 mai 2024

Le sport pour les riches ! Dans les yeux de Paris 2024, la chronique #21 de Frédéric Brindelle

 

L’Équatorien Richard Carapaz, champion olympique sur route en 2021.

Et si le sport incarnait le capitalisme et sa structure pyramidale ?

Une minorité, les plus riches, se partage la majorité des richesses. Plus le riche s’enrichit, plus le pauvre s’appauvrit ? Notre planète vivrait dans ce rapport de force depuis la Révolution industrielle. Le résultat sportif, lui, s’inscrit dans le même schéma depuis la révolution informatique.

De nos jours, la victoire ne dépendrait plus de la seule force naturelle mais des moyens mis en œuvre pour y parvenir. Voyons ce top 10 : « États-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Inde, France, Italie, Canada, Corée du sud ».

S’agit-il selon vous, du classement du PIB mondial ou de celui des médailles cumulées lors des deux dernières éditions des Jeux d’été ? Ils sont quasiment identiques, même si (bravo pour les plus perspicaces) il s’agit de celui du PIB ou des puissances économiques mondiales.

Seule la Russie manque à l’appel, alors qu’elle figure pourtant au classement des plus médaillés. Elle n’en fera évidemment plus partie à « Paris 2024 » (exclue par le CIO en raison de l’agression de l’Ukraine).

Isolons le cas de l’Inde, dont la culture n’a jamais incité à participer au festin olympique et qui se consacre à ses deux sports nationaux, le cricket et le kabaddi.

Enfin, deux autres nations, hors top 10 du PIB, apparaissent parmi les cadors des Jeux, l’Australie et les Pays Bas, dont le niveau de vie très confortable ne remet pas en cause notre parallèle.

Il faut un donc un fort PIB pour régner sur l’olympisme.
La France, organisatrice des Jeux 2024, investit à tout va pour accéder au podium. Elle imite les Britanniques et les Japonais, derniers riches organisateurs qui ont imposé la devise : sans argent, pas d’or ! Car la performance sportive répond à l’exigence d’entraînement dont les principes sont connus de tous. Tous les concurrents, bien préparés et financés, se retrouvent logiquement à égalité. C’est le détail qui influence le verdict final. Il s’anticipe de plus en plus, par des moyens de plus en plus sophistiqués, qui coûtent de plus en plus cher. Nous y sommes !

Les sports collectifs subissent de plein fouet la règle du fric tout puissant.
Le premier d’entre eux, l’universel football, n’accueille sur ses podiums de Coupe du monde que les plus riches. Certes, l’Argentine et le Brésil appartiennent à la caste des leaders malgré leurs fragilités économiques mais leur longue tradition du haut niveau a installé durablement leurs joueurs dans les clubs les plus riches du monde. Les deux sélections nationales bénéficient de cet apport déterminant.

Mais, l’Allemagne, l’Angleterre, la France, l’Italie et l’Espagne ne laissent que les miettes aux pays plus pauvres, les Africains, par exemple. Le Maroc a révolutionné le genre lors de la dernière édition, en accédant aux demi-finales (4ème du classement).

A ce jour, aucune nation africaine n’est parvenue à monter sur le podium de la compétition. Il en va de même pour le basket, le handball, le volley, le hockey, le water-polo. Seul le très régionalisé rugby revendique une nation africaine majeure, l’Afrique du Sud, symbole pendant des années du colonialisme blanc.

Quelques exceptions à la domination occidentale saupoudrent l’histoire de l’Olympisme en sport collectif. Elles s’appuient sur les régionalismes des disciplines comme en hockey sur gazon avec le Pakistan ou en rugby à 7 avec les Fidji. Parfois, des singularités entrouvrent la porte. Cuba et son système communiste se sont offerts des spots publicitaires grâce au volleyball féminin. Le Nigeria, double médaillé en football masculin, a saisi l’opportunité d’un tournoi réservé aux moins de 23 ans, qui préserve du fric tout puissant.

Fréquemment, les 20 nations les plus riches occupent le rang de potentiels favoris sur la scène internationale des sports collectifs. Notons, là encore, les performances occasionnelles du Qatar, un riche au PIB moyen, qui naturalisa à tout va en 2015 pour honorer son rang d’organisateur du championnat du monde de handball. Les Qataris accédèrent à la finale. Un podium pour un pays non occidental, enfin ! Mais à quel prix ?

Félicitations aux surdoués créatifs de l’ex-Yougoslavie (Serbie, Croatie, Slovénie, Monténégro) qui rivalisent au plus haut niveau dans tous les sports collectifs, s’appuyant sur un savoir-faire quasi ancestral. L’Égypte, la Turquie et l’Uruguay surgissent ponctuellement au bénéfice d’une génération dorée et les pays du Maghreb tirent profit de la binationalité quand leurs fédérations résistent au péril de la corruption. C’est tout pour « les privés du gâteau, les exclus du partage ». Pas d’argent, pas de médaille.

Les sports individuels, au XXIème siècle, enregistrent des phénomènes comparables.
Dès que la pratique nécessite un équipement et des structures onéreux, les pays pauvres restent au pied du podium. L’escrime, le tennis, l’équitation, la gymnastique, le triathlon, le pentathlon et bien sûr le pléthorique cyclisme… L’Union Cycliste Internationale a pourtant instauré un accueil privilégié, à son siège en Suisse, pour permettre aux concurrents des pays pauvres de jouer les premiers rôles. Piste, BMX, VTT et bien sûr la médiatique route, observent de belles histoires parmi les ressortissants de ces pays, où les associations humanitaires, parfois, fournissent des vélos collectés dans le monde industrialisé pour apporter un peu de bonheur dans le quotidien des enfants. C’est dire le challenge relevé par la famille bicyclette. Aujourd’hui, l’Érythrée, le Rwanda, la Malaisie, le Kazakhstan, l’Équateur et quelques autres frappent à la porte du succès. Un bel exemple, même si le niveau global ne parvient pas à rivaliser avec les nations développant des programmes technologiques élaborés qui explosent inexorablement les records du monde, quitte à interroger sur leur validité.

Le salut des petits pays s’accroche malgré tout à certaines disciplines, simples d’accès. L’athlétisme, en ce sens, demeure le sport numéro 1 de l’olympisme, singulier rempart à la domination des nantis. La Jamaïque et le Kenya y apportent un souffle d’universalité aux Jeux. Les Bahamas, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Maroc, la Biélorussie, la République Dominicaine sont tous revenus médaillés de Tokyo. Des destins légendaires s’écrivent au vu et au su du monde entier, pour l’éternité, dans l’héritage collectif de ces nations souvent négligées quand le sort de la planète se joue.

Et puis, il reste les sports de combat. Sur les rings et tatamis, souvent le plus « affamé » s’impose, à la force de ses muscles et de ses tripes. Les avancées technologiques n’influencent que modérément les performances. La Mongolie, la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Iran, la Thaïlande triomphent ponctuellement, ils incarnent le rêve olympique pour les plus précaires.

Malheureusement, toutes ces disciplines universelles souffrent d’une couverture médiatique restreinte. La lutte, l’haltérophilie, même l’athlétisme n’intéressent que très rarement les grands médias pendant les 4 années qui séparent deux éditions des JO.

Les sports très médiatiques, eux, se concentrent sur leurs enjeux commerciaux.
Pour y briller, les prétendants doivent investir en permanence. Le fossé risque de se creuser toujours plus. Leurs fédérations internationales doivent engager une politique volontariste pour soutenir les « petits » pays. Des femmes et des hommes, capables de dominer les plus grands championnats, naissent chaque jour aux quatre coins du monde. Pourtant, plusieurs éléments privent leur pays d’origine de leur possible réussite. A cause du manque d’équipements nécessaires pour devenir performants, ces sportifs émigrent et souvent accèdent à la binationalité. L’athlète privilégie très souvent son pays d’accueil aux arguments financiers persuasifs. Conséquence de cette évolution, les riches naturalisent à outrance, leurs sélections nationales se construisent comme les clubs, à coups de transferts. Il ne s’agit pas de remettre en question le cosmopolitisme de la Grande Bretagne, de la France, des États-Unis ou du Brésil. L’Allemagne présente également des athlètes de moins en moins « ariens », c’est heureux.

Il semblerait toutefois plus juste de permettre à la Côté d’Ivoire, à l’Algérie et tant d’autres, de pouvoir compter sur leurs enfants talentueux afin qu’ils hissent haut leurs couleurs. Pour qu’un jour, nous saluions le titre de champion du monde d’une sélection africaine, l’accès au statut de numéro 1 mondial d’un athlète issu du tiers monde. Que le classement des médailles olympiques ne se confonde pas avec celui des pays à l’économie la plus développée… A moins qu’on considère le sport comme un indicateur de bien-vivre des peuples.

L’exposition olympique peut alors servir à attirer l’attention sur les malheurs du monde. Et c’est bien pour cela que « Opinion Internationale » s’offre ces quelques lignes sur le sujet. Paris 2024 nous éclaire sur notre époque. Alors observons et avançons, main dans la main, vers un monde meilleur. 

Frédéric Brindelle
Journaliste, chef de rubrique « Opinion Paris 2024 »