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02H45 - vendredi 3 février 2023

Le 1er février, date sombre dans l’histoire de l’Iran… et de la France. Retour sur une histoire tragique par Engareh Alirezaï

 

Il y a 44 ans, c’est de France que Khomeini rentra en Iran pour prendre le pouvoir et soumettre tout un peuple à la terreur islamique. La Révolution Islamique qu’a connue l’Iran et qui s’est tristement soldée en 1979 par la prise du pouvoir par Khomeini a, en effet, été notamment conduite à partir de Neauphle le Château, petite commune des Yvelines en France. En effet, cette commune a accueilli à partir du 6 octobre 1978, quatre mois durant, le premier guide suprême de la Révolution islamique iranienne, Rouhollah Moussavi Khomeini.

C’est le 1er février 1979, il y a 44 ans exactement, que Khomeini quitta la France (à bord d’un avion Air France), pour retourner en Iran, au moment où la révolution islamique, et surtout Khomeini, était sur le point de triompher.

Pourquoi les Iraniens avaient-ils alors, majoritairement et massivement, attendu le retour de celui qui, plus tard, se révélera comme un dictateur sanguinaire et quel a été le rôle de la France et de l’Occident dans le dénouement de cette révolution .

Petit retour par Engareh Alirezaï, chef de rubrique « Iran C’est une révolution » d’Opinion Internationale, sur une page tragique de l’histoire de l’Iran que, 44 ans plus tard, la révolution Femme Vie Liberté souhaiterait définitivement tourner…

Article paru le 1er février 2023

 

L’affrontement entre le Shah et Khomeini 

Un esprit de revanche animait Khomeini à l’encontre du Shah depuis presque toujours.

Officiellement, ils s’affrontaient depuis plus de 15 ans lorsque le Shah fut contraint à l’exil, au profit de Khomeini, au début de l’année 1979.

Mais il semblerait que la haine que nourrissait Khomeini à l’égard du Shah existait déjà dans son enfance, puisqu’il tenait pour responsable le père du Shah (alors membre de l’armée militaire du gouvernement) pour l’assassinat de son père, qui était un ayatollah. 

Le Shah disposait depuis les années 50 du soutien des Américains. Il lui était reproché d’en être dépendant et d’être sous la coupe de l’impérialisme américain.

Le Shah prévoit au début des années 60 une révolution, appelée Révolution Blanche, qui prévoya notamment deux réformes qui ne plaisaient pas aux religieux :

  • Une réforme agraire, pénalisant le clergé chiite qui représentait les premiers propriétaires terriens du pays,
  • L’égalité des droits civiques accordée aux femmes.

La réforme agraire prévoyait que les vastes terres des propriétaires seraient en parties attribuées aux paysans.

Le Shah voulait moderniser son pays et également l’industrialiser. Cette industrialisation pénalisait également les vendeurs des bazars, voués à disparaître au profit de la mise en place de centre commerciaux et de boutiques de type occidental.

En un mot, le pouvoir économique appartenant aux grands propriétaires terriens et aux fondations religieuses était menacé par ces changements.

Si les réformes de la Révolution Blanche furent adoptées le 26 janvier 1963 par référendum, les premières contestations émergèrent dès cette année-là. Le 4 juin 1963, d’importantes émeutes éclatèrent à l’initiative des religieux et de ces grands propriétaires terriens lésés.

Khomeini, riche propriétaire de terres, qui était à la manœuvre, se fit arrêter le lendemain.

Il devint alors la figure de l’opposition au Shah, au point que d’importantes manifestations poussent le Shah à le libérer. Ces émeutes ayant été réprimées et ayant abouti à plusieurs morts, Khomeini en profite pour souligner le comportement dictatorial du Shah et commence dès cette époque à préparer sa Révolution Islamique que l’on connaîtra par la suite.

Le Shah fit censurer toute publication concernant ce personnage.

Khomeini, qui ne cessait de contester le régime du Shah, accusé d’être trop moderne, trop occidentalisé, et même trop américanisé, fut arrêté à nouveau en novembre 1964 et fut contraint à l’exil.

 

Les erreurs du Shah qui ont entraîné le soulèvement du peuple

 

  • Une volonté de modernisation rapide, non maitrisée

La production de pétrole se trouva décuplée grâce à la création de l’OPEP et au boom pétrolier, ce qui donna à l’Iran une puissance importante.

Par là-même, le Shah disposa d’un soutien international qui le mit en confiance mais les Iraniens, qui étaient traditionnalistes, critiquaient cette industrialisation, apparentée à une occidentalisation, et reprochèrent au Shah d’être le soldat des Etats-Unis mais aussi de l’Allemagne, auprès de qui il achetait les outils nécessaires à la modernisation exponentielle qu’envisageait le Shah.

En outre, les coûts liés à cette modernisation se révélèrent en inadéquation avec les recettes liées au boom pétrolier de sorte que l’Iran connut une nouvelle crise avec une inflation importante, dont souffriront les Iraniens.

 

  • Des inégalités dont souffraient les Iraniens

L’opposition aux réformes de la Révolution Blanche émergea à nouveau à l’occasion de la célébration des 2 500 ans de l’empire perse, fin 1971. Le Shah organisa un somptueux spectacle qui aurait coûté 25 millions de dollars sur le site archéologique de PERSEPOLIS, du 12 au 16 novembre 1971. La population n’y fut pas conviée, ce qui provoqua la contestation des plus défavorisés.

Un réel décalage psychologique entre l’idée que se faisait le Shah des besoins de son peuple et les réelles revendications de celui-ci s’était définitivement installé.

Petit à petit, les Iraniens les plus confrontés à la misère et aux inégalités se soulevèrent contre le Shah et son régime monarchique.

 

  • « Le feu aux poudres » : les foules iraniennes se radicalisèrent en 1978, entraînant une répression sanglante.

Alors que les oppositions s’unissaient pour soutenir Khomeini, un article resté célèbre contre lui fut publié le 7 janvier 1978, destiné à le discréditer, un article maladroit et mensonger, indiquant qu’il serait homosexuel, sa femme prostituée, et qu’il n’était pas iranien.

Des étudiants et des meneurs religieux protestèrent massivement dans la ville de QOM. La police se déploya dans les rues, dispersant les manifestants et tuant plusieurs étudiants, donnant ainsi encore plus de crédit à Khomeini et moins de légitimité au Shah.

La Révolution Islamique débuta alors pour 13 mois.

Un des évènements importants qui a conduit à la recrudescence des manifestations fut l’incendie du cinéma REX, le 19 aout 1978, qui s’est soldée par 470 morts. Les Iraniens tinrent le Shah pour responsable. On apprendra plus tard que c’était les islamistes (et Khomeini) qui étaient à l’origine de ce massif assassinat, afin de faire accuser le Shah et d’amplifier les contestations à son égard*.

Face aux manifestations réprimées dans le sang, plusieurs fidèles de la monarchie se détournèrent du Shah.

 

  • Un excès de confiance

Il était dans l’intérêt de l’Occident que l’Iran garde une stabilité, puisqu’elle était un frein à la propagation de l’Union Soviétique. Le Shah croyait donc disposer d’un soutien sans faille des Etats-Unis qui l’aideraient à maintenir ou retrouver telle stabilité.

Par ailleurs, parce qu’il avait instillé de la modernité avec diverses réformes, le Shah crut pouvoir se dispenser d’instaurer une réelle démocratie. Il pensa que les mollahs, à l’influence grandissante, préféreraient eux aussi le régime d’un Shah à une démocratie.

Et bien qu’il fut un dictateur, le Shah refusa que son armée tire davantage sur les foules et préféra abandonner son pays.

Aujourd’hui, nombreux sont les Iraniens, même parmi ceux qui l’ont honni, qui regrettent le Shah…

 

L’exil de Khomeini

Depuis son exil en 1964, Khomeini avait développé sa propagande contre le Shah. En Irak pendant 14 ans puis lors d’un bref passage en Turquie, le discours de Khomeini s’était radicalisé progressivement jusqu’à appeler à l’abolition du régime du Shah.

A la demande de ce dernier, mais aussi parce que sa posture et ses discours pro-chiite gênaient le pouvoir Irakien, Saddam Hussein chassa Khomeini après 14 ans.

C’est ainsi qu’il s’envola pour la France, cherchant un pays où il n’avait pas besoin de visa et y arriva donc, sans demander l’asile et en simple touriste, le 6 octobre 1978. Il était alors inconnu sur la scène internationale et presque oublié en Iran.

La France est un pays où la parole était libre et bien qu’elle incarnât la décadence (autrement dit, la liberté) aux yeux de cet ayatollah, il sut très bien en profiter.

Le Shah, à tort, pensa que son influence serait moindre dans un État laïque et non musulman. En fait, les Iraniens du monde entier et notamment d’Iran purent venir à la rencontre de Khomeini.

En outre, il sut s’entourer de trois intellectuels iraniens qui avaient vécu en Occident, et se disaient être des laïques progressistes mais surtout de fervents musulmans : Bani SADR, Sadek GODZADEH, Ibrahim YAZDI. Chacun était chargé de répandre la propagande de Khomeini, l’un de la théorisation de la pensée dite « Khomeiniste » et de son contenu politique, le second de la gestion des médias occidentaux et des relations publiques extérieures, le troisième de l’endoctrinement et de la mobilisation des iraniens.

Ainsi, Khomeini sut tenir un double langage : l’un à destination des Iraniens, l’autre à destination des Occidentaux : endoctriner les Iraniens tout en rassurant les Occidentaux constitua sa stratégie.

Il est ainsi parvenu à emporter l’adhésion des intellectuels, sans parler ni le français, ni l’anglais, et grâce à ses fidèles conseillers. On sait que Michel FOUCAULT, Jean Paul SARTRE et la féministe Simone de BEAUVOIR l’ont soutenu.

Khomeini organisa en France des conférences lors desquelles il propageait ses idées. Il enregistrait ses déclarations sur cassettes, qui étaient largement diffusées et dupliquées en Iran. S’il avait déjà procédé à de tels enregistrements en Irak, l’évolution de la technologie en France va lui permettre de déjouer la censure et d’amplifier la diffusion de ses discours. Ces cassettes étaient en vente en France et parvenaient aux Iraniens en Iran.

Toutes ces diffusions massives ont pu échapper au contrôle du gouvernement iranien sur les médias classiques.

Enfin, une grève générale a été déclenchée entre octobre 1978 et janvier 1979, paralysant l’économie du pays. 

 

Le départ du Shah et le retour de Khomeini en Iran

De son côté, en 1979, le Shah, à qui l’on reprochait d’être trop américanisé, contestait les relations commerciales avec les Etats-Unis, et augmentait le prix du pétrole.

Des Occidentaux diront aujourd’hui que c’est parce qu’ils étaient informés du fait que le Shah était atteint d’un cancer incurable qu’ils ont cessé de le soutenir. En effet, lors d’un Sommet en Guadeloupe du 4 au le 7 janvier 1979, les dirigeants de l’Allemagne de l’Ouest, de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis se mirent d’accord pour ne plus soutenir le Shah, concluant au fait que le soutenir pourrait aggraver la situation en Iran et entraîner l’intervention de l’Union Soviétique.

Le degré de haine envers le Shah, qui représentait l’impérialisme américain, et l’abandon des Etats-Unis et de l’Occident, le poussa à partir le 16 janvier 1979, pour l’Egypte.

Dès lors, les révolutionnaires religieux prirent le contrôle du pouvoir et censurèrent immédiatement ce qui était écrit dans les journaux. Les chefs religieux s’emparèrent du mouvement révolutionnaire.

Les représentants du pouvoir religieux rejoignirent au même moment Khomeini à Neauphle-le-Château en France. Ensemble, ils jetèrent les bases de la future « République » Islamique.

L’armée, abandonnée par le Shah, ne défendit plus le régime monarchique et se rallia à la Révolution Islamique.

Khomeini prépara son retour en Iran et, craignant que son avion fasse l’objet d’un attentat, invita la presse internationale à l’accompagner avec certains Iraniens en exil. Un avion entier d’Air France fut affrété par Valéry Giscard d’Estaing pour ramener Khomeini en Iran, accompagné des journalistes et de nombreux civils iraniens, otages malgré eux.

Avant son départ, un de ses fidèles conseiller traduisit pour lui des remerciements à la France :

« Au nom de Dieu, après avoir résidé 4 mois en France, je quitte ce pays pour servir mon pays. Il est nécessaire de remercier le gouvernement et le peuple français d’avoir pris les mesures de sécurité et m’avoir donné la liberté d’expression ».

Son avion atterrit le 1er février 1979, à Téhéran, devant une foule immense scandant son nom, tel un sauveur.

Khomeini installa 10 jours après, dès le 11 février 1979, une théocratie chiite qu’il gouverna depuis son établissement jusqu’à sa mort en 1989, période durant laquelle il occupa le poste de Guide suprême de la révolution.

Khomeini, conscient que c’est grâce à la liberté d’expression (en France) qu’il a pu accéder au pouvoir, l’interdira très vite pour ne pas perdre ce dernier. Très vite également, il éliminera toute personne pouvant s’opposer à lui. A titre d’exemple, ses trois fidèles conseillers, Sadek GODZADEH, Ibrahim YAZDI, Bani SADR,  qui l’ont aidé à accéder aux pouvoirs, seront respectivement exécuté, emprisonné et contraint à l’exil.

Khomeini a su installer durablement le poison d’un Régime Islamique barbare grâce au concours, significatif, de la France.

 

L’adhésion des Iraniens à Khomeini

La Révolution iranienne n’était pas une Révolution islamique à l’origine. Des camps très divers, qui s’opposaient au Shah, voulaient la chute de la monarchie. Il ne s’agissait pas que d’une opposition des clercs au régime du Shah. 

Pour comprendre ce qui s’est tramé à l’époque, il faut bien mesurer que Khomeini prônait une « démocratie islamique » devenue, terme pourtant aporique, une soi-disante « république » islamique une fois au pouvoir.

Mais jusqu’en 1978 où la Révolution Islamique a démarré, les Iraniens, à part les religieux, ne connaissaient que très peu Khomeini.

A l’époque, – et c’est le point clé -, de tels religieux n’apparaissaient pas comme des fanatiques et un grand respect leur était voué, notamment par le Shah. Nul ne croyait qu’un pays encore en cours de développement tel que l’Iran pourrait revenir 1 500 ans en arrière avec des mollahs et la charia au pouvoir.

Paraissant comme un saint homme, Khomeini a su fédérer et réunir l’approbation de la majorité des Iraniens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Khomeini était certes connu comme étant un opposant du Shah, ce qui était pour plaire à la population iranienne mécontente, mais toute publication de ses ouvrages était censurée de sorte que les Iraniens ne se doutaient pas, pas plus que les Occidentaux finalement, de ce qu’envisageait Khomeini pour le pays.

Ce que les Iraniens prirent pour une victoire sera vite une tragédie.

 

Retour à Neauphle-le-Château

Pendant des décennies, une plaque à l’effigie de Khomeini, 23 route de Chevreuse, à Neauphle-le-Château où il résidait (au frais du contribuable bien sûr) fut installée. On pouvait y lire : Le nom de Neauphle-le-Château est enregistré à jamais dans l’histoire des relations franco-iraniennes. Le peuple iranien se rappellera toujours de l’hospitalité du peuple français et de l’accueil qui a été réservé à l’imam Khomeini, guide suprême et fondateur de la république islamique d’Iran ».

44 ans après, cette plaque a été détruite la semaine dernière.

Gageons que ce lieu de pèlerinage pour les chiites iraniens fera place à une plaque commémorative en mémoire de toutes les victimes de la Révolution Islamique, et maintenant héros de la Révolution Femme Vie Liberté.

La France compte aujourd’hui une importante diaspora iranienne qui, à son tour, tente d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’Iran.

 

Engareh Alirezaï

Chef de rubrique « IRAN C’est une révolution » pour Opinion Internationale

 

*Sources : Federal Research Division (2004) Iran A Country Study Kessinger Publishing, page 78, et Bahl, Taru, Syed, M.H (2003) Encyclopaedia of the Muslim World Anmol Publications PVT).