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09H38 - mercredi 12 octobre 2022

« Baraye » de Shervin Hajipour, un hymne pour une révolution en marche

 

Sa chanson est devenue l’hymne des Iraniens. Son auteur : Shervin Hajipour. Plus de 40 millions de vus sur Instagram avant que le régime des mollahs ne l’oblige à la supprimer de son compte.

Dans un reportage de la BBC précédant cet hymne, Shervin Hajipour avait confié : « mes plus grandes souffrances sont devenues mes plus belles chansons ». Mais la plus noble de ses chansons, naquit quelques temps plus tard sous les révoltes parmi les plus féministes de tous les temps.

Il montra ainsi que la plus grande des souffrances est celle partagée. À travers sa chanson, Shervin Hajipour décrit une terre où se dénudent les blessures sans fin de ses compatriotes.  

Tirées des tweets des Iraniens, chaque phrase de cette chanson « Braye » (le mot signifie « Pour » en persan) comporte avec lui la nébuleuse et sombre réalité d’un régime totalitaire. En dépit de sa simplicité insolite, elle est un geste qui puise jusqu’au tréfonds topographie des douleurs et des souffrances vécues. Cette chanson projette sur un écran endeuillé le fond abyssal de tous les crimes subis et les traumatismes laissés depuis quarante-trois ans.

Elle raconte les Iraniens, leurs vies, leurs angoisses, leurs pertes injustifiées, leurs manques et leurs troubles.

Elle exprime leurs désirs, leurs préoccupations et leurs revendications.

Elle dessine les contours des rêves jamais réalisés.

Elle chante toutes les prétendues danses dans les rues, les danses qui n’ont jamais eu lieu.

Elle raconte les autres et les enfants Afghans.

Elle se préoccupe de « Pirouz », le seul jeune guépard d’Iran, une espèce qui est en danger critique d’extinction.  

Elle se soucie des arbres asséchés de la plus longue avenue de Téhéran.

Elle invoque l’économie de résistance formulée et exigée par le guide suprême face aux écrasantes sanctions imposées au pays.

Elle déplore les cerveaux anéantis et les prodiges emprisonnés.

Elle rappelle à travers les 175 passagers de l’avion ukrainien, abattu dans le ciel de Téhéran par les Pasdarans, les deuils incessants des familles, les images prostrées les unes après les autres dans les cadres et les vies à tout jamais perdues.

Elle formule les identités réfutées des individus, la difficulté d’être femme dans le pays des ayatollahs.

Elle dit : « pour tout ce que vous nous avez forcé à crier ».

Or qui sait que quand on est un enfant dans un pays dirigé par les funestes esprits arriérés, on est obligé de crier mort à l’Amérique, mort à l’Israël et mort à tous les autres.

Ces enfants, ces symboles erronés de vie, sont contraints à crier la mort. Des enfants de ce pays sont des enfants de tous les paradoxes. Ils sont des enfants dépourvus d’enfance. Ils sont des êtres courbés sous le poids de l’idéologie islamiste et tremblant face à cet ogre de guide suprême et de ses milices.

Tels sont le cruel et l’infligeant qui défilent avec chacune des phrases de cette chanson.

Mais la fin de cette poésie incendiaire et contestataire est limpide. Elle est enchantée et promet de configurer un monde autre, un monde non-totalitaire : « un monde qui devance la mort puisque passant outre la mort, le héros en devient le maître, c’est-à-dire le maître de son destin », comme écrivit Daryush Shayegan ce grand philosophe iranien.

Ainsi, le cri de « femme, vie, liberté » reste véhément et la liberté sera le seul destin des Iraniens.

 

Azadeh Thiriez-Arjangi

Philosophe franco-iranienne, spécialiste de Paul Ricoeur