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14H02 - mardi 11 octobre 2022

Guerre ou procès entre États : de la corruption de la justice internationale. Tribune de Philippe Feitussi et Michel Taube

 

Nous sommes en guerre. Les bombardements de Kiev et d’autres villes ukrainiennes, au petit matin le 9 octobre dernier, nous le rappellent. L’escalade est grandissante. 

Inutile donc de se voiler la face. Et cette guerre, si elle n’est totale, est globale : nous sommes dans une guerre de matériels militaires, dans une guerre de sanctions économiques, de chantages à l’approvisionnement en gaz et d’explosion des prix des matières premières, en guerre diplomatique, la Russie étant au ban des nations, avec une retenue pleine d’intérêts notamment de la Chine et de l’Inde.

Ce paysage dramatique démontre que cette guerre, peut-être d’un genre nouveau, est aussi mondiale. Dans un post sur le réseau social LinkedIn, Jacques Attali prévient : « For the third time since 1962, a Russian leader may attempt to unleash the annihilation of humanity in order to retain power. For the third time, to avoid this, it is essential not to give in to fear and blackmail. » (Geopolitics Archives – Jacques Attali – www.attali.com, 21 septembre 2022). Effrayante période, lorsque l’histoire nous enseigne que la folie humaine ne connaît pas de limite. Comme l’écrit cet observateur attentif et souvent visionnaire de notre monde en mouvement, nous sommes, une fois de plus, au bord du précipice.

Tout ceci est certes un héritage tardif de l’effondrement de l’Union Soviétique, mais aussi, et peut être surtout, l’échec absolu des organisations et des juridictions multilatérales. Pourtant, quelle meilleure alternative à la guerre qu’un procès, un arbitrage entre États ?

La Charte des Nations Unies, nées sur les ruines encore fumantes de la Seconde Guerre Mondiale, comme le fut la Société des Nations sur la Première, n’explique-t-elle pas que les signataires sont résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ?

Que s’est-il passé ? Pourquoi un tel échec ?

La résolution judiciaire des litiges entre États puise ses sources dans une histoire déjà ancienne. Ironie de cette histoire, à l’initiative de la première tentative de création d’un organisme international voulant régler les conflits entre États, on trouve le Tsar Nicolas II qui fut l’initiateur de la conférence de la paix de La Haye en 1899. Cette conférence, à laquelle participaient, remarquable innovation à l’époque, les petits États d’Europe, divers États d’Asie et le Mexique, avait pour objet principal de discuter de la paix et du désarmement. Elle finit par adopter une convention pour le règlement pacifique des conflits en prévoyant la création d’une institution permettant de constituer des tribunaux arbitraux. Ce fut le début de l’institutionnalisation des règlements des litiges entre États.

Après la première guerre mondiale, le concert des nations se relève avec difficulté du traumatisme. Plus jamais ça ! Des hommes de bonne volonté, comme le Président américain Woodrow Wilson pousse. Il faut une organisation à la mesure de cette guerre, la Société des Nations (SDN) voit le jour le 10 janvier 1920.

Aux termes de l’article 14 du Pacte de la Société des Nations (SdN), le Conseil était chargé de « préparer un projet de Cour permanente de Justice internationale » (CPJI), juridiction appelée, non seulement à connaître de tout litige que des parties lui soumettraient, mais aussi à donner des avis consultatifs sur tout différend. Le 15 février 1922, après un processus âpre révélant la difficulté de l’exercice, s’ouvre à La Haye, au Palais de la Paix, la séance inaugurale de la Cour, plus de deux ans après la création de la SdN.

De 1922 à 1940, la CPJI connaît vingt-neuf affaires entre États et rendit vingt-sept avis consultatifs. En même temps, furent élaborés plusieurs centaines de traités, conventions ou déclarations qui lui attribuaient compétence.

L’ouverture des hostilités en septembre 1939 ne pouvait qu’avoir de graves conséquences pour la CPJI, déjà moins active depuis quelques années. Après sa dernière audience publique, le 4 décembre 1939, et une dernière ordonnance le 26 février 1940, son activité judiciaire cessa.

En octobre 1945, la CPJI tint sa dernière session. Le 31 janvier 1946, tous les juges remirent leur démission et en avril de la même année, elle fut formellement dissoute. Un échec terrible : la seconde guerre mondiale fut le conflit le plus terrible de l’histoire humaine et ni la SdN ni la CPJI ne purent rien y faire. A l’avenir, les institutions multilatérales devraient donc montrer, du moins tenter…, plus d’utilité.

 

Place aux Nations Unies instituées le 24 octobre 1946, dont le préambule, rappelle son objectif de règlement des litiges entre États.

L’article 33 de la Charte énumère, comme méthodes de solution pacifique des différends entre États : la négociation, l’enquête, la médiation, la conciliation, l’arbitrage, le règlement judiciaire et le recours aux organisations ou accords régionaux, auxquels il faut ajouter les bons offices.

L’article 92, quant à lui, énonce : « La Cour internationale de Justice constitue l’organe judiciaire principal des Nations unies. Elle fonctionne conformément à un Statut établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice internationale … ».

La Cour Internationale de Justice (CIJ) se réunit pour la première fois au Palais de la Paix à La Haye le 3 avril 1946, élit son premier président M. José Gustavo Guerrero, dernier président de la CPJI. La Cour constitue ensuite son Greffe, en reprenant en général les anciens fonctionnaires de la CPJI. La juridiction est en ordre de marche, sur les bases de celles qui l’avait précédée, pourtant sans grand succès. Elle se met au travail et rend au long des années de nombreuses décisions.

 

Projetons-nous dans l’actualité récente pour mieux comprendre les affres de la CIJ.

Récemment, deux jours après l’invasion de son territoire par la Russie, plus exactement le 26 février 2022, l’Ukraine saisit la haute juridiction, qui rend, avec une célérité impressionnante, une ordonnance le 16 mars 2022. Mais quel en est le contenu, quelle en est l’efficacité ? Dans son ordonnance, la Cour enjoint, à titre conservatoire, la Russie de cesser les opérations militaires sur les territoires ukrainiens et aux deux belligérants de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver, d’étendre ou de rendre le règlement du différend plus difficile.

À ce jour, cette décision est restée lettre morte.

Plusieurs raisons peuvent être invoquées.

D’abord, la saisine de la Cour n’est pas aisée. En raison du principe de souveraineté des États, la juridiction n’est compétente que si et seulement si les deux parties y consentent.

Pour contourner la difficulté, l’Ukraine saisit la Cour sur la base d’un traité ratifié par les deux pays : la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Pour assoir son recours, l’Ukraine a prétendu que l’intervention russe serait justifiée par la nécessité impérative de faire cesser un prétendu génocide pratiqué les autorités ukrainiennes. Malgré la manœuvre juridique, la Cour a acquiescé à sa compétence tout en affaiblissant cependant la portée de sa décision, personne n’étant dupe.

Ensuite, l’ordonnance rendue doit s’imposer, mais aucun des belligérants n’en a finalement tenu compte, posant ainsi la question de l’exécution des décisions de la CIJ.

Même si ce manquement constitue une « violation de plus », la Cour ne dispose d’aucune force coercitive permettant de faire exécuter ses décisions. Les conséquences de l’ordonnance ne sont donc pas concrètes, elle n’est d’aucun effet sur le terrain.

Si normalement les États se sont engagés à respecter les décisions, rien ni personne ne peut les y obliger, ou presque. Presque car, en théorie, seul le Conseil de Sécurité des Nations Unies pourrait engager des mesures coercitives.

Mais, en l’occurrence, la Russie est membre permanent du Conseil de Sécurité, disposant ainsi d’un droit de veto. L’institution est donc bloquée, démonstration d’une justice internationale à deux vitesses, car on peut imaginer que si ce droit de veto n’avait pas existé, le Conseil aurait pris des mesures.

Le constat est très dur. En 2022, en dépit de tout l’arsenal du droit international, il n’y a pas de condamnation efficace possible.

Mais ce n’est pas tout.

  

De la corruption au sens même de la CIJ ?

Dans une « Leçon Inaugurale » parue en 2018 (Recueil des Cours de l’Académie du Droit International de la Haye), le Professeur Jean-Pierre Cot s’interrogeait sur « L’éthique du procès international ».

Pour entamer son analyse, l’éminent Professeur explique : « (…) la justice internationale est une justice humaine, faillible. Elle comporte sa part d’erreurs, d’incertitudes, de fraude. Elle est animée par des juges, des avocats, des diplomates, des conseils. Tous peuvent faire une erreur, céder à une tentation. ».

Le décor est planté. Avec une grande pudeur, le Professeur Cot parle d’une possible corruption.

Déjà en 2017, nous avions alerté sur une possibilité corruption endémique de la Cour Pénale Internationale, autre institution de la justice internationale, autour d’un véritable système mis en place par M. Luis Moreno-Campo, premier Procureur de la CPI de 2003 à 2012. Au point d’entacher la légitimité morale et politique de l’institution dont cette personne aurait facilité la mise en place. »

Dans sa Leçon, Jean-Pierre Cot ajoute ensuite : « Qu’en est-il en cas de conduite frauduleuse ? D’une ‘dirty story’ pour reprendre l’expression de William Michael Reisman, [sommité mondiale dans le droit international public] », et prend l’exemple de l’affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn qui a donné lieu à une décision très controversée de 2001.

Dans cette procédure, le Qatar avait, sans vergogne, soumis quatre-vingt-deux faux grossiers, datés du XIXème siècle.

La supercherie fut découverte, notamment, en constatant qu’un des documents datés du XIXème siècle avait été rédigé sur papier à en-tête de la Royal Air Force. Le Président de la Cour, saisi par le Bahreïn de la tentative d’escroquerie, convoqua les représentants des parties et demanda que les documents soient retirés. Le Qatar s’exécuta et il n’en fut plus question.

Aucune sanction ne fut ordonnée, sans conséquence donc pour le Qatar et ses représentants faussaires.

On ajoutera que l’un des Présidents de la CIJ à l’époque, Monsieur Mohamed Bedjaoui, est aujourd’hui soupçonné de corruption et poursuivi par les autorités algériennes et que le représentant de Qatar au procès, le Procureur Al Mari, est inquiété pour des affaires de biens mal-acquis (JDD – 23 juillet 2022) et a été sanctionné récemment au Qatar.

Avec de tels constats, la crédibilité de la CIJ est évidement ébranlée. Comment, dès lors, respecter et faire exécuter efficacement les décisions ?

C’est difficile, alors que les États demandent à leurs ressortissants, à leurs institutions d’être toujours plus vertueux. Certes les États sont des sujets particuliers aux prérogatives particulières, mais ils n’en restent pas moins des sujets de droits, condamnables, et que l’on doit pouvoir contraindre.

La réponse à tous ces dysfonctionnements serait probablement l’avènement d’une juridiction internationale pouvant être plus facilement sollicitée, capable de sanctionner les déviances dans la conduite des procédures, et d’imposer au Conseil de Sécurité, quels que soient les pays en présence, le devoir de sanctionner la méconnaissance de ses décisions. On pourrait aussi imaginer que lorsqu’un des membres du Conseil de Sécurité est poursuivi par un certain nombre de pays, il ne puisse pas utiliser son veto. Mais cette réforme conduirait à la négation du rapport de force consubstantiel aux relations internationales.

Toute réforme sera vaine tant que les États n’accepteront souverainement de se plier au droit plutôt qu’à la violence. Autant dire que nous serions dans un autre monde.

 Mais il y faut aussi la probité des juges. Et c’est bien le moins que l’on puisse attendre de ces derniers dans ce monde présent.

 

 

Philippe Feitussi et Michel Taube

Philippe Feitussi est Equity Partner at DWF.

DWF est l’un des rares cabinets d’avocats cotés à la bourse de Londres. Il comprend environ 2000 avocats répartis dans 33 bureaux. Il est ainsi un acteur majeur de l’économie mondiale.

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