La chronique de Jean-Philippe de Garate
12H04 - mercredi 5 octobre 2022

Après l’apocalypse. La chronique de Jean-Philippe de Garate

 

8 mai 1945 : que signifie cette date ? Réponse facile. Fin de la seconde guerre mondiale.

Inexact.

Notre ethnocentrisme oublie le détail : une guerre mondiale, ce n’est plus un conflit centré sur l’Europe. Surtout quand c’est la deuxième rechute.

Les explosions nucléaires des 6 et 9 août 1945 sont suivies de la signature de la capitulation nippone le 2 septembre.

La fin de la guerre n’est donc pas le 8 mai mais le 2.IX.45.

« Question de détail » ? 

Entre le 8 mai et le 2 septembre, l’humanité est entrée dans l’ère nucléaire.

Et le Japon entré en réflexion. Cet Empire insulaire, géographiquement isolé au bout de l’Asie, demeure profondément introverti.

Les criminels de guerre ont été pendus, le Japon normalisé, puis cet archipel sans matières premières est devenu la deuxième puissance économique mondiale.

Parallèlement, le monde a changé et il y a peu à ajouter à ce que l’on sait des années 1990-2022, entre chute du communisme européen et russe, mondialisation et entrée de la Chine à OMC, dérèglementation généralisée, financiarisation et délocalisation, paradis fiscaux et larges poches de misère atroce. Et partout, partout, recherche d’identité, conflits locaux et malaise général.

Dans un ouvrage paru en 1994, Un monde privé de sens, le chercheur Zaki Laïdi s’interrogeait : « Le Japon peut-il faire sens ? » Au risque de caricaturer outrageusement ce chapitre, la réponse négative du chercheur ne me paraît pas valide.

Oui, tout ce qu’écrit le brillant directeur de recherche au CEVIPOF de Sc Po, est exact, essentiellement sur l’absence de message universel – contrairement à la France, les Etats-Unis, etc.- mais également sur les alphabets qui absorbent mais tiennent à distance l’étranger, aussi bien la température interne et la singularité du corps japonais (ce qu’ignorent nombre de médecins occidentaux), que sur l’organisation politique, l’architecture…

Avec cette formule de Roland Barthes « La ville dont je parle (Tokyo) présente ce paradoxe précieux : elle possède bien un centre, mais ce centre est vide. »

Nos chercheurs occidentaux posent des grilles occidentales sur un monde qui ne l’est pas.

Le centre de Tokyo, ce n’est pas le palais impérial. Ni même la Cour suprême. On y siège le moins possible. Chaque brique des murs est séparée de sa voisine par un assez large espace.

Ce qu’on nomme le vide, c’est la respiration. L’Asie intelligente n’a attendu personne. Le centre des villes, ce ne sont pas les palais, les larges avenues, ni même l’enchevêtrement des rues.

Le centre, ce sont les onsen.

Le onsen, sources d’eau naturelle chaude AUTOUR desquelles s’organise la vie, la ville, constituent le centre de la vie nippone. Procédure d’accès très méticuleuse, silence, propreté, respect de l’intimité d’autrui, vie en commun, loin, si loin de nos hystériques débats … et proche de la nature.

1994 : le Japon peut-il faire sens ? 

2022 : il est bien possible qu’il soit le seul à ne pas avoir perdu la boule.

 

Jean-Philippe de Garate

Dernier livre paru : « Trois Petits Tours », éd. le Lys Bleu, Paris.

Jean-Philippe de Garate