La chronique de Jean-Philippe de Garate
16H40 - mardi 8 mars 2022

Lettre à M. Gérard Larcher, président du Sénat

 

Monsieur le Président,

Trois sujets, de contours bien différents, justifient cette adresse, et les simples « réflexions », que j’ai l’honneur de soumettre respectueusement à votre examen.

  1. Le contexte international, singulièrement en Europe de l’Est, accapare légitimement les instants et les jours du président de la République.

Il semblerait par ailleurs que le président sortant brigue un second mandat.

Si cette interprétation n’est pas erronée, en annulant son meeting de Marseille, peut-être d’autres, le candidat sortant se prive des moyens que lui offre la Constitution pour exposer aux électeurs son bilan, et son projet.

En un mot, l’égalité des candidats est rompue, et ses contradicteurs seraient également privés de ne pas entendre, voire répliquer, à l’argumentaire de ce candidat.

N’étant pas un spécialiste de droit constitutionnel, ni même un habitué des usages de la République en la matière, je m’interroge et vous soumets respectueusement cette interrogation, Monsieur le Président.

Cette interrogation s’enfle avec la montée des périls extérieurs et il ne semble pas déraisonnable de peser l’utilité, pour le plein essor sur la durée de notre démocratie élective, d’un report de ces élections.

Au sens étymologique, le président de la République est actuellement « empêché », terme prévu par une disposition constitutionnelle, semble-t-il, puisque s’il exerce sa fonction, il ne peut consacrer au débat démocratique le temps que requiert jour et nuit la défense des intérêts vitaux de la Nation sur la scène européenne et internationale.

Enfin et surtout, il ne serait pas inutile que la campagne autorisant la confrontation des arguments ait lieu dans un climat normal, apaisé, pour que la France soit présidée pendant cinq ans (2022-27) sur le fondement d’un vote d’adhésion et non de « contraction-réflexe face au péril extérieur ». 

Il n’est pas nécessaire de « convoquer » l’Histoire, car la logique cartésienne et notre goût de la mesure justifient ce report de date.

  1. Le deuxième sujet a trait à cette fin de la période de pandémie.

La Covid a entraîné de nombreux effets, mais le principal a été la fermeture des forums et agoras, en un mot une atonie du débat républicain, qu’enserraient l’état d’urgence sanitaire et une série de contraintes extraordinairement précises affectant la vie de chacun.

Simple citoyen, de surcroît pas médecin ni même soignant, je ne connais que les chiffres des décès et ce qu’on nomme « surmortalité » du fait d’un certain nombre de décisions, ou d’absences de décision en période de Covid, notamment dans certains établissements accueillant les personnes âgées. 

Vous qui êtes un scientifique, et un soignant, êtes à même de déclencher, sinon les procédures, à tout le moins les nécessaires réflexions. La faiblesse du débat précédant cette élection — qu’ont caractérisée virilement certains candidats —, en atteste.

  1. Le premier mars 2022, Victor Castanet, journaliste à l’origine de l’enquête sérieuse, documentée, ayant mené à la publication de l’ouvrage « Les Fossoyeurs » recevait sur son compte Linkeld-In ce message peu amène, y compris envers l’orthographe : «Honte à vous Mr (sic) Castanet qui ne connaissait (sic) en rien les professions des établissements de santé. Votre livre est un pur torchon, abject qui ne reflète en rien la réalité d’Orpea.. le problème est votre incompétence à traiter un sujet si vaste qu’est le monde de la santé en général des EHPAD, clinique (sic), hôpitaux.. Alors, taisez-vous au lieu d’écrire un tissu (sic) de mensonges ! »

Qu’un journaliste déplaise par la mise en relief de vérités peu agréables à constater n’est pas étonnant. Que la rédactrice de ce message, Madame Sophie V., qui se présente sur LinkeldIn comme une « directrice » d’un EHPAD du groupe Korian, soit diplômée d’une école de commerce, mais pas médecin, ne l’est pas davantage. La question qui résulte de ce message est double :

  1. Les établissements de soins gériatriques ont connu une importante surmortalité qui s’analyse, semble-t-il, en absence de soins appropriés. La Commission d’enquête sénatoriale, qui — selon ce qu’on peut en savoir — a entendu Monsieur Castanet, a pu s’interroger sur la triste réalité.

Monsieur le Président, à ce jour, les EHPAD et autres cliniques pour personnes âgées — qui peuvent être « dépendantes » physiquement et parfaitement saines d’esprit, sans régime de protection aliénant leur droit de citoyen et d’électeur — fonctionnent toujours, et on peut s’interroger sur l’utilité d’un report de l’élection présidentielle, afin que les centaines de milliers de personnes résidant dans des maisons « dédiées » aux « seniors » puissent s’exprimer dans des conditions (nutrition, soins, libre accès des « visiteurs » et des correspondances) les placent en état de se prononcer.

Le président de la République, en se déclarant « bouleversé » par les révélations de l’ouvrage de M. Victor Castanet, a de ce fait mis en parallèle la situation bouleversante et la situation normale, cette dernière étant seule à même d’autoriser un vote de centaines de milliers de nos compatriotes, et semblables, dans des conditions normales.

Ce message me donne l’occasion de vous renouveler, Monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect.

Jean-Philippe de Garate