Chroniques
06H30 - jeudi 6 janvier 2022

Chronique pour la nouvelle époque : Le matin, quand on se lève, par Jean-Philippe de Garate

 

Jean-Philippe de Garate

« Le matin, quand on se lève ». Parmi tant d’autres, voici les termes, en apparence anodins, de l’interview (in Horizons, décembre 2021) qu’a donnée le directeur de l’administration pénitentiaire vantant ces « métiers d’aventures humaines » que seraient les fonctions de gardien, de directeur de prison. Sauf erreur de lecture, pas une fois, le mot « prison » n’est employé. Si l’adjectif « humain » est omniprésent dans l’entretien, le sujet « homme » ou « femme » doit lui aussi être caduc voire obsolète, puisqu’on ne le rencontre pas davantage dans cette conversation.

« Le matin, quand on se lève »… Mais le matin, le cinquième détenu de la même cellule – cellule prévue pour deux, voire quatre (avec deux lits superposés se faisant face) – n’a pas le choix. Il a dû d’ailleurs, de son matelas déroulé le soir entre les deux lits superposés, subir les piétinements des allers-retours nocturnes et hygiéniques des quatre autres.

La vérité m’oblige à dire que cet entretien m’a semblé surréaliste. Depuis des lustres, la France, notre pays, est condamné à « hautes doses » par la Cour de Strasbourg et les habituelles associations pour les conditions inhumaines d’incarcération de nos condamnés. Passant presque tous les jours devant le mur écroulé sur trente mètres – toujours pas remonté depuis trois ans – de la centrale de Poissy, je me demande « que fait le gouvernement ». Cette prison accueille des condamnés à des peines criminelles, souvent à perpétuité.

À perpétuité puisque les jurés, sachant que l’accusé ne risque plus sa tête, envoient généreusement à l’ombre des condamnés à vie, ou à de très lourdes peines – vingt ans et plus -, environ 13 % des 68.000 détenus, soit plus de 7000 hommes et femmes désormais maintenus en réclusion.

Y a-t-il eu de nouvelles évasions de prisonniers de Poissy, puisqu’il n’est plus très difficile de s’extraire de la centrale, la deuxième enceinte, celle de sûreté, étant à terre ?

Plusieurs centaines de nos semblables y sont reclus, emmurés, pour les crimes parfois atroces qu’ils ont commis (encore qu’il y ait statistiquement, fatalement, quelques vraies erreurs judiciaires et donc, quelques innocents) sans qu’à aucun moment, notre directeur s’interroge sur les effets sur l’état psychique, des années durant, de la claustration, relativement à l’essentiel : la sortie de prison ! Car tout le monde, ou à peu près, sort un jour !

La récidive – un petit tiers (31%) des prisonniers – se combat par la préparation du détenu au monde extérieur, si cela est possible. Mais chacun sait que, par malheur, certains d’entre nos semblables ne sont pas amendables. Hormis la mort, il ne reste qu’une solution pour garantir la sécurité des gens : l’éloignement. On ne voit en effet pas à quel titre on augmenterait l’insécurité en relâchant en France des condamnés qui prennent notre pays pour un terrain de chasse.

Le bannissement, c’est-à-dire l’éloignement, s’avère une mesure difficile. Mais le prisonnier est libre, et peut se révéler différent, amendé, dans une culture différente, sous des latitudes différentes.

« Le matin, lorsqu’on se lève »… Mais c’est la nuit que bat le pouls d’une prison ! Tous les plans tirés sur la comète, les rêves ou les bobards des hommes (neuf prisonniers sur dix sont des mâles), les combinazione pour ceci cela, les hiérarchies et les trafics n’ont pas d’heure !

Le matin, quand on se lève… Mais les gardiens de service de nuit restent debout ! Ils se relaient aux heures sombres, celles de l’évasion, de la rixe, du suicide… Les prisons françaises ne sont pas sûres, et les hommes de la chiourme en sont les premières victimes. Le prétoire, tribunal de la prison, envoie au quartier disciplinaire, dans un mitard sans meuble excepté un banc de béton, des insoumis ou des nerveux, des excédés ou des désespérés. La consommation de neuroleptiques est effarante en milieu carcéral.

Le soir, quand on se couche, nombre de détenus, pas fatigués – puisque l’activité physique est ostensiblement insuffisante dans la journée – se gorge de médicaments pour « passer la nuit ». On parle beaucoup des « radicalisés » en prison. Mais leur nombre, pour inquiétant qu’il soit, s’il justifie le renseignement pénitentiaire, ne doit pas masquer la réalité statistique. Le problème numéro un des « sorties » de » prison, ce sont ces hommes, entrés vaillants voire violents, et ressortis « légumes » ou allocataires de ceci cela.

De bons auteurs l’ont écrit depuis des lustres : la prison est un peu le miroir d’une société. Dis-moi comment vit la prison, je te dirais comment bat le cœur de la ville.

La politique pénitentiaire ne se réduit pas à des poncifs, « le matin, quand on se lève » ou les « aventures humaines ». Un des mille défis qu’aura à relever le prochain (e) président (e), c’est bien celui-ci : la prison vit, son cœur continue à battre, jour et nuit.

 

Jean-Philippe de Garate

 

Iel ielle iels ieles, celeux…

Tribune de Silvia Oussadon Chamszadeh, fondatrice du Torchis, et Daniel Aaron, chroniqueur Opinion Internationale, parue dans Le Torchis.Com, follicule d’humeur et de culture.