Chroniques
06H52 - mardi 26 mai 2020

Obligation de moyen ou de résultat : ce n’est pas qu’une question juridique. La chronique de Raymond Taube

 

Autant qu’un sujet juridique, la différence entre l’obligation de moyen et celle de résultat est une question sociétale, philosophique, politique, dont la réponse peut évidemment se traduire en droit. Peut-être est-ce même une question d’état d’esprit.

Que signifient ces notions, peut-être absconses pour le profane ?

Obligation de moyen : je dois tout faire pour que ça marche, le cas échéant en respectant un protocole et des règles, mais l’échec ne m’est pas imputable si j’ai mis en œuvre les moyens pour atteindre l’objectif et ai respecté les règles. En général, les professions intellectuelles sont soumises à une obligation de moyen : un avocat n’est pas obligé de gagner le procès ou un médecin de guérir son patient. S’il échoue, c’est au client ou au patient de prouver qu’il n’a pas mis les moyens pour réussir la mission qui lui était assignée. Enfin, l’hyper-règlementation tend à générer une obligation de moyen, car elle protège celui qui s’y soumet rigoureusement.

Obligation de résultat : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Le client, l’usager, doit obtenir le résultat qu’il escompte, la manière d’y parvenir étant laissée à la discrétion du prestataire. Si celui-ci échoue, il devra apporter la preuve d’un cas de force majeur pour tenter de limiter sa responsabilité. En général, les prestations techniques sont assorties d’une obligation de résultat : le garagiste doit réparer le véhicule. Le fournisseur de téléphonie doit assurer le fonctionnement du réseau. En cas d’échec, ils ne pourront s’exonérer de leur responsabilité en indiquant qu’ils ont tout fait, en vain, pour atteindre l’objectif. Bien entendu, si le garagiste estime qu’il ne peut réparer le véhicule, il doit en informer le client.

La réalité n’est pas toujours aussi binaire : le médecin doit respecter certains protocoles de soins, écrits ou non-écrits. Par exemple, la négligence dans l’établissement du diagnostic, ne serait-ce qu’en ne prenant pas la température du patient lorsqu’elle constitue un élément de ce diagnostic, peut engager la responsabilité du praticien. L’expert-comptable est globalement soumis à une obligation de moyen en matière de conseil. Mais établir les déclarations fiscales et sociales pour le compte de son client, pour peu qu’il dispose des éléments pour les effectuer et qu’il ait été payé, relève de l’obligatoire de résultat.

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Quelle est la nature de l’obligation de l’État à l’égard des citoyens, en particulier en ce qui concerne leur sécurité et leur santé ? La question s’était notamment posée à l’occasion des émeutes en marge du mouvement des Gilets jaunes. Elle se pose aujourd’hui à propos du Coronavirus. En pratique, elle n’est ni l’un ni l’autre, car toute obligation n’a de sens que si elle est assortie d’une sanction. Or la responsabilité de l’État, a fortiori celle de l’exécutif, même si elle peut être mise en œuvre devant la justice administrative, voire la justice répressive, est rarement engagée, et l’État ou ses représentants rarement sanctionnés. Le Conseil d’État est à la fois juge et partie, quand bien même il s’en défendrait-il. Et la Cour de justice de la République, qui juge les ministres mis en cause pénalement, est une juridiction d’exception principalement composée de parlementaires.

Le droit du travail est un terrain de friction entre les obligations de moyen et de résultat, en particulier s’agissant de celle de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des salariées. D’une absence totale de responsabilité au début de l’ère industrielle, le droit a glissé vers l’excès inverse. Par exemple, la Cour de cassation avait considéré qu’en matière de harcèlement moral, lequel peut porter atteinte à la santé mentale du salarié, l’employeur est tenu à une obligation de résultat. Même s’il a multiplié les démarches et précautions, développé une communication intensive, systématisé les sanctions, financé des formations, embauché des psychologues, des assistantes sociales, des médiateurs, il est responsable par principe si un salarié est victime de harcèlement.

Ultérieurement, devant la stupidité de cette logique érigée en dogme, la Cour de cassation a mis un peu d’eau rationnelle dans son vin radical, en modérant cette obligation de résultat. Ainsi, si l’employeur a tout mis en œuvre pour préserver la santé du salarié, mais que malgré ses efforts, il n’a pu empêcher qu’il y soit porté atteinte à l’occasion du travail, sa responsabilité ne sera pas systématiquement retenue. La tendance jurisprudentielle est le glissement d’une obligation de résultat, en l’espèce appelée obligation de sécurité de résultat, vers une obligation de moyen renforcée.

Pourquoi la distinction relève-t-elle de l’approche politique, sociétale, voire de l’état d’esprit ?

Quittons un instant le terrain juridique, tout en restant dans le monde du travail, plus précisément celui de l’embauche. En France, l’employeur est encore très attaché aux diplômes. Il présume que le candidat a les moyens de répondre à sa demande. Aux États-Unis, hormis les professions réglementées, il sera davantage attaché à ses performances, donc au résultat. Diplômé ou non, celui qui « fait le job » a ses chances. En France, en dépit d’une évolution vers la reconnaissance des compétences, encore trop encadrée par un carcan règlementaire, le diplômé inefficace peut faire carrière.

La France est l’un des pays les plus règlementés au monde, et la sortie du confinement en donne une nouvelle illustration. Les entreprises doivent respecter des dizaines, voire des centaines de règles. Il eut été préférable de réduire considérablement cette usine à gaz réglementaire, de fixer un cadre, de rappeler que la responsabilité de l’employeur peut être engagée s’il n’a pas su protéger ses salariés et même ses clients. La plupart des moyens auraient pu être laissés à sa discrétion, en concertation avec les salariés, les instances représentatives du personnel, le médecin et le conseiller du travail. Les syndicats devraient être de la partie, s’ils ne s’enferment pas dans une posture dogmatique, systématiquement antinomique, voire hostile.

Moins de règles, plus de concertation et de confiance en la capacité des protagonistes à trouver les solutions les mieux adaptées à leurs spécificités. Finalement, nous ne sommes pas loin de la jurisprudence de la Cour de cassation tendant vers une obligation de résultat atténuée ou relative. Sauf que les « créateurs » de règlements ne sont pas encore au diapason, comme l’illustrent les horripilants modes d’emploi du déconfinement.

Non seulement l’hyper-règlementation ne garantit pas une sécurité absolue, mais elle nuit à l’entreprise, à l’initiative, à l’économie dans son ensemble, tout en contribuant à la déresponsabilisation et à l’infantilisation des acteurs économiques et, in fine, de la population. 

Bien entendu, le droit doit avoir sa pleine place dans la vie économique, sociale, citoyenne, mais il ne repose pas sur la seule règle. En cas de conflit, il faut aussi savoir faire confiance au juge et à sa capacité d’appréciation, de contextualisation, une confiance qui ne peut toutefois être aveugle, comme nous l’avons déploré à plusieurs reprises dans les colonnes d’Opinion Internationale.


Raymond Taube

Directeur de l’IDP, Institut de Droit Pratique
Rédacteur en chef d’Opinion Internationale

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Iel ielle iels ieles, celeux…

Tribune de Silvia Oussadon Chamszadeh, fondatrice du Torchis, et Daniel Aaron, chroniqueur Opinion Internationale, parue dans Le Torchis.Com, follicule d’humeur et de culture.