Chroniques
06H45 - mardi 21 janvier 2020

Du bon usage de la trahison. Chronique de la nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Si on en croit le résumé, qu’illustre l’affiche, on devrait affronter une pièce de boulevard, avec femme épousée pour son argent, adultère et rires gras, jeune maîtresse gênante car enceinte, portes qui claquent entre faux amis et vrais quiproquos dans l’habituel cadre bobo… en un mot, le spectacle à éviter.

Eh bien, non ! Rarement apparence aura été si trompeuse ! 

C’est une pièce sombre derrière les rires, entièrement consacrée au mensonge. Et donc une pièce éminemment actuelle. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, égal, semblable. Sauf que… non. Le traître domine du début jusqu’à la fin, écrasant ses victimes de tous les stratagèmes, de déclarations controuvées, d’un cynisme digne de Vychinski et d’une souplesse à en remontrer à un chat.

Relevons que comme la pire des réalités bourgeoises, la fille enceinte, qui n’a pas même un toit, sera rejetée à la rue… Le spectateur n’aura plus que sa propre imagination pour épilogue. Même dans ses silences, le texte se révèle d’une cruauté sans égale. Servir en compliment pour sa femme légitime qu’elle a les yeux du plus bel oiseau… pour, dans un murmure d’aveu rapide, préciser qu’ils sont ceux d’une autruche… et tout roule du même tonneau.

Doté d’une belle voix, parcourant toutes les gammes, ayant fait sien un texte qui semble sortir de lui à chaque phrase, Arnaud Cermolacce ne joue pas. D’ailleurs, il dépasse tout, tour à tour au centre de l’avant-scène, tel un Duce de quartier, libidineux et explicite, violent et outrancier, parfois ondulant, voire lent. On nous dit qu’il serait un ancien avocat. Plutôt un ancien client ! Plus vrai que nature ! En un mot : l’ordure parfaite. J’ai longtemps cru qu’il allait finir par la fenêtre ouverte, mais c’est encore pire. Allez voir la pièce !

L’axe s’organise sur un crescendo épique : celui de la folie qui, tôt ou tard, surprend le menteur. Perdu dans ses détours, contradictions, recourant à un mélimélo génial, bouffon, glacé, brûlant, tragique, le menteur délivre au bénéfice d’un public envolé, affolé, écroulé de rire et d’admiration la plus incroyable scène jouée depuis longtemps sur des planches ! Pirandello ? Non ! Pire, enfin, je veux dire : mieux encore !

En pleine pièce, le public se lève, tant pour dégourdir ses abdominaux trop sollicités par les contractions du rire que pour exprimer sa sidération d’un tel talent. Un tel phénomène. Et crier son admiration, applaudir à tout rompre. Une pièce de théâtre interrompue par l’adhésion totale d’un public unanime !

Arnaud Cermolacce est cet acteur exceptionnel. Mais attention ! Oubliez le boulevard (à moins que cela soit cela, le boulevard) ! on croit entendre Shakespeare, celui de Richard III, avec un fauve, très physique, au masque de très méchant clown. Car pour finir, on rit du pire. Cette pièce nous touche. Pas par l’histoire prétexte. Mais par la puissance du mensonge. Qui détruit tout. Décidément, ce n’est pas une pièce. Mais un miroir pour notre nouvelle époque.

Jean-Philippe de Garate

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Iel ielle iels ieles, celeux…

Tribune de Silvia Oussadon Chamszadeh, fondatrice du Torchis, et Daniel Aaron, chroniqueur Opinion Internationale, parue dans Le Torchis.Com, follicule d’humeur et de culture.