La chronique de Jean-Philippe de Garate
09H55 - jeudi 21 janvier 2021

L’heure des politiciens. Chronique pour une nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate

 

Ah ! le monde d’avant ! dès potron-minet, un petit noir sur le zinc et, à votre droite, trois quatre experts – un représentant en liquoreux, l’artisan-taxi achevant son service au petit blanc sec, et deux éboueurs attardés- discourant sur le plus récent remaniement gouvernemental, l’extravagante aventure extra-conjugale de la femme du ministre des transports fluviaux, découverte arrimée à Saint-Pierre-et-Miquelon, la guerre probable entre Nicaragua et Costa-Rica : avantage Nicaragua … C’était avant !

Désormais, fini, le bistro ! Et pourtant ! Que d’histoires, que d’Histoire ! A l’origine, les envahisseurs ! Mais non, pas la Covid ! Les cosaques bivouaquant sur la butte Montmartre l’hiver 1814 et réclamant « vite » (bistra en russe) un petit remontant de 40 degrés au cafetier local. La bise souffle, rue Lepic et là-haut, place du Tertre ! Je sais bien … nos distingués linguistes réfutent l’origine et nous assassinent avec cent théories plus spécieuses les unes que les autres. Céline Louis-Ferdinand, qui s’y connaissait un peu en blablateries montmartroises, avait sa petite idée, développée dans son Voyage : « Sur le comptoir triomphait un gros bouquet. À cause de la fête du bistrot Martrodin. Un cadeau des enfants ! qu’il nous a annoncé lui-même […] Le mari voulait absolument que le bistrot se mette à lui réciter les sous-préfectures du Loir-et-Cher parce que lui il les avait apprises et il les savait encore ». Ah ! la culture !

Finies, les sous-préfectures ! Fermés, les bistrots ! Les cafetiers confinés entre découverts bancaires, baux commerciaux impayés, pensions alimentaires aux serveuses-mères congédiées et assurances diverses… Et pourtant ! Qui l’ignore ?

Paris n’obéit jamais.

Certes, vous ne pouvez – et encore seulement avec combinaison hiver et masque, gel alcoolique (hydro sur option), gants vinyle latex et monnaie trébuchante- vous exfiltrer de la rue (propriété des vélos et des gendarmes, personne ne parle plus d’espace public) que pour entrevoir l’entrée de l’estaminet et vous y glisser tel le fisc dans les bas de laine d’une belle veuve. Mais ensuite ! Avec votre gobelet de pur Arabica brûlant brinquebalant, vous sortez du bistrot, bravez la neige et abattez le masque !  Après avoir déposé délicatement votre verre d’un carton made in No-where sur la plus proche poubelle pas encore rentrée…le nouveau bistrot !

Je témoigne ! Paris a réinventé le bistrot ! Plein air et plein vent ! Sans voile ni tour du monde… Rue de Rivoli, carrefour de l’Odéon, avenue de Mac Mahon… Et là, comme la tablée s’avère si ordurière, le contenant si odorant, aucun propos ne saurait être censuré ! Ah les pauvres Véran Olivier et autres Castex, quel massacre ! Le niveau de la conversation, inconcevable pour nos académies diverses, à ne recueillir qu’avec deux trois gants Mapa ! Vite, fumons ! Fumer sauve (ce n’est pas encore écrit sur le paquet de cigarettes, mais attendons) ! le nez envahi de senteurs d’un fort tabac protecteur ! L’oreille mangée par le bonnet hivernal ! Et maintenant, attention !

Niagara ! Des flots et des flots de mots retenus mais enfin déconfinés, des propos que la morale réprouve, d’Auteuil à Ménilmontant…

Les prochaines présidentielles ! Cher lecteur, vous ne savez rien. Et votre endurant chroniqueur, qui pour vous arpente Champs et Marais, est en mesure de vous donner deux trois informations majeures. 

La première, fondée sur un raisonnement en trois points cardinaux, est classée « capitale » ! Jupiter ne sera pas présent au deuxième tour du scrutin. Je tiens cela de source sûre… Fini le cabinet noir de Fouché Joseph et Marcellin Sarko Collomb… à nous les concierges esseulés ! Celui du numéro 26, rue C., Hervé pour les initiés, renvoyait nos sciences-poseurs à leurs tablettes avec sa prosopopée en quarante-deux mots à peine sifflés : « Ecoutez voir ! Le maire du Havre, l’homme à la barbe domino, il laisse courir son nom… Vous avez vu, sa tenue Juppé 2, le retour… ça commence, les interviews ! Et hop ! Il se présente, mais à regret ! Pour la France, forcément… un doux regard de biche vers LR… Face à Jupiter, il sera vaincu mais aura préparé sa deuxième chance pour 2027. Le mari de Brigitte, lui, mordillé par les dix points du Philippe, il passe pas la deuxième haie ! Il retourne direct à Las Vegas avec Ferrand et autres Benalla ! »

Le deuxième enseignement est le plus inaudible. Ce devait être le bruit des vélos – puisqu’il n’y a plus de voitures, hormis Vigipirate et Vigi-tout. Hervé Bignole reprend : « Ouais, je sais, on est dans l’arrondissement de tous les bobards. Mais là, vous pouvez me croire. C’est pas la Marine qui va mouiller au port, c’est le Marseillais. Mélenchon en tête au premier tour. Vous voulez une démonstration.  C’est encore plus évident. Les gauches ont désormais un point commun les unes pour les autres, et pour le monde en général : la haine. Les mecs, communistes, écolos pas trop bobos, socialistes tendance Guigou, Aubervilliers le matin -Closerie des Lilas le soir, les sectes, lobbies, groupes orientés comme ci comme ça, Marais et Pigalle, minorités visibles moins visibles, les banlieues où on distingue pas les masques et les foulards, ils vont se rendre compte que la seule chance de la gauche, c’est l’ancien ministre de l’enseignement technique… Oui, c’est entendu, comme ministre, on attend le bilan. Mais une campagne électorale écrase les petits candidats. Ne pas se rallier, c’est rejouer 2017. A cette seule idée, ils en crèvent ! La haine, ça mobilise ! Mélenchon va rafler la mise ». Il sera premier, le soir du premier tour !

Là, évidemment, je demandai un deuxième café. Que je posai sur mon comptoir pur Polyéthylène haute densité (PEHD), d’une belle couleur grise. Grise, pour mieux s’harmoniser avec le ciel et l’état d’esprit dominant. Puis je m’interrogeais sur ce lieu dont on ne parle jamais en France. Latrines en romain. Vespasiennes pour les impériaux. Fermées au public. Ou distantes de 800 mètres. J’arrête sur le sujet, trop académique… et la manière de pourvoir à leur absence, moins académique.

La troisième donnée, je vous la livre, mais là, Hervé le bignole ne m’a pas convaincu. Marine ne sera pas élue, parce qu’elle va se retirer de la compétition. Son raisonnement, évidemment, je concède, comporte quelques vérités. La première, c’est que pour « conduire des troupes à la victoire, il faut le vouloir. Avoir été poussée par papa -qu’on a remercié en bonne enfant gâtée, c’est-à-dire en le virant- ne donne pas des ailes. Une avocate de Montretout n’en a en réalité rien à faire de la balance commerciale ». C’est vrai, susurrait l’historien qui sommeille en tout lecteur, Saint Cloud n’est pas un haut lieu pour les chefs d’Etat français. Henri III y a été assassiné (1er août 1589), juste deux siècles avant la Révolution, et Charles X y a passé les trois glorieuses (juillet 1830), pas très glorieuses pour lui… Enfin, ville, château, tout a brûlé en 1870… etcétéra. On a connu mieux comme prémonitions.

Bref, continuait Hervé, l’avocate du barreau des Hauts-de-Seine fatigue. Pas de vrai programme, pas de ceci, pas de cela… Et en réalité, une base électorale aussi diverse que le Cassoulet version Maubeuge. La duchesse avec l’immigré, ça donne quoi au bout d’un an de présidence ? Il y a assez d’un mignon assassiné à Saint Cloud ! 

J’ai fait ce que vous auriez fait. J’ai terminé mon café et plongé me reconfiner. L’heure du couvre-feu approchait, et Hervé devait rentrer ses poubelles.

 

Jean-Philippe de Garate